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Il ne faut ni chercher les duels, ni les fuir. On n’est pas un brave pour les chercher, on n’est pas un sage pour les fuir. D’ailleurs les occasions sont fort peu à craindre pour l’homme qui se conduit avec gravité et respect de soi-même, et qui ne se mêle pas aux mauvaises compagnies. Je crois qu’il est inutile de rien ajouter là-dessus pour moi personnellement, et que tu dois, chère amie, être entièrement rassurée maintenant sur mon compte, si tu as été assez bonne pour daigner concevoir quelques alarmes.

Je veux me dédommager de cette longue profession de foi sur les duels qui t’a sans doute ennuyée et de toutes mes tristes divagations en ne m’occupant plus que de toi, mon Adèle. Je rêve quelquefois que notre mariage est prochain, et à présent j’ai plus que jamais besoin de le croire, car j’ai bien besoin d’être consolé de tout par une si enivrante espérance. Je veux bannir toutes les idées, oublier le monde entier pour ne plus songer qu’à toi. Pourquoi, mon amie, ne parles-tu jamais de notre union qu’avec mille expressions de doute ? Pour moi, j’y crois aussi fermement qu’à l’éternité de Dieu et à l’immortalité de l’âme. Songe bien, mon Adèle bien-aimée, que chaque mois, chaque jour, chaque instant démolit une pierre du mur qui nous sépare. Qui sait ? dans peu de mois peut-être je serai indépendant par ma fortune, la moitié du problème de notre avenir sera résolu. Ah ! je t’en supplie, laisse-moi rêver ce bonheur, ne me désole plus par tes craintes, il faut bien que je sois dédommagé un jour de tout ce que je souffre à présent. — Ces jours passés, je t’écrivais que je pressentais un malheur futur. Quand on aime, Adèle, on est superstitieux. Adieu, porte-toi bien, je ne te gronde pas de m’en avoir écrit si peu. Si tu savais pourtant combien la brièveté de tes lettres m’afflige, tu ferais l’impossible pour m’en écrire davantage, songe que je n’ai pas avec toi d’autres entretiens, et que dans l’état de veuvage où je vis, toute notre intimité est dans nos lettres ; tu t’abuses si tu me crois plus de temps qu’à toi, je suis continuellement obsédé et contraint pour t’écrire ou travailler de m’enfermer ou de prendre sur les heures de mon sommeil, cependant je t’en écris bien long, trop long peut-être, mais je crois sur ta parole que cela te fait plaisir, et cette confiance me rend heureux. Adieu, pourquoi toutes mes soirées ne sont-elles pas comme celle de mercredi ? Peut-être ai-je eu tort de te parler dans cette lettre de mes nouveaux chagrins, cependant tu es ma femme et tu dois tout savoir. Adieu, adieu, je t’embrasse en mari et te respecte en esclave.

Ma bien-aimée Adèle, écris-moi bien long, je t’en supplie.

V.-M. H.