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À Amédée Pommier[1].


[Fin avril 1846.](Confidentielle.)

Comment ! vous qui connaissez si bien la poésie, vous ne connaissez donc pas l’Académie. Vous vous avisez de concourir au prix de poésie, et vous restez poëte ! Hélas ! l’Académie est un lieu où l’on sait tout, excepté ce qui doit entrer dans les douze syllabes sacrées dont se compose un vers. Vous avez fait une belle œuvre, pleine de verve, de force, d’esprit et de talent ; vous auriez été couronné par des poëtes, vous avez été écarté par des académiciens. Cela est dans l’ordre. Ne vous plaignez pas, cher poëte. Tout a sa raison en ce monde, même la déraison.

Venez donc dîner avec moi un de ces soirs. En vous attendant, je vous serre cordialement les deux mains.

V. H.
Mercredi.


À Madame de Girardin.


Mardi matin [2 juin 1846].

Ce que vous m’écrivez, madame, me suffit. Vous êtes admirable en toute chose, en amitié comme en poésie. Je n’ai jamais douté de Lamartine, vous le savez. J’avais été froissé de l’effet public[2]. C’est une si belle chose pour tout le monde, c’est une chose si douce pour moi que cette fraternité entre Lamartine et moi sans nuage depuis vingt-six ans ! Qu’il continue de m’aimer un peu dans un coin de son cœur, moi je ne puis faire autrement que de l’admirer de toutes les forces du mien ! Saluer son nom, louer son génie, glorifier le siècle qu’il remplit et qu’il honore, c’est

  1. A. Pommier, poète, commenta les Classiques latins, et traduisit quelques ouvrages de Cicéron. Il laissa un poëme catholique, l’Enfer, qui eut en 1855 un grand succès, et quelques volumes de vers.
  2. Lamartine, dans un discours prononcé le 30 mai 1846, à la Chambre des députés, avait fait l’éloge de Casimir Delavigne et de Ponsard, et cela trois ans après l’échec des Burgraves. Mme  de Girardin s’était employée à atténuer l’effet de ce malencontreux discours.