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1846.


[À Paul Meurice][1].

Je ne vous connais pas, monsieur, mais je vous admire. Trouvez bon que je vous le dise. Trouvez bon que je vous félicite de tant de talent, de tant de courage, de tant d’esprit, de tant de style. Vous êtes certainement, qui que vous soyez, un des plus fermes et un des plus nobles esprits de ce temps. Vous avez raison de parler comme si vous étiez l’avenir. Vous ne l’êtes pas, mais vous l’avez.

Je vous remercie, c’est mon dernier mot, et je vous serre la main.

Victor Hugo[2].
14 février [1846].


À Paul Meurice[3].


20 février [1846].

C’est du cœur que je vous remercie, cher poëte. Je croyais deviner, et je me taisais, comprenant les motifs de votre silence. Maintenant je sais, et je me tairai plus que jamais. Votre beau et noble esprit vous trahit, il est bien difficile de mettre un masque à ce qui rayonne. Comptez sur mon silence absolu comme sur ma profonde amitié.

Victor H.[4]
  1. Inédite. — Paul Meurice venait de signer Demain, dans un feuilleton que nous n’avons pu retrouver, un article sur Victor Hugo qui, ignorant le nom de l’auteur de cet article, avait envoyé au journal son remerciement.
  2. Bibliothèque Nationale.
  3. Inédite. Écrite en recevant la lettre ci-dessous :
    Jeudi [19 février 1846].
    Monsieur,
    Anténor Joly me remet aujourd’hui seulement votre bonne lettre. Elle me rend si heureux et si fier que je n’y puis tenir, — je trahis mes devoirs, je viole mes serments — et vous confesse que c’est bien moi, hélas ! qui ai eu l’idée, téméraire et impie sans doute, de m’appeler Demain, de grossir ma voix grêle par ce redoutable masque de bronze... — Pour tout vous dire, d’ailleurs, puisque je suis en train, — Vacquerie va désormais m’aider dans une besogne trop absorbante, je m’en suis aperçu, pour mes seules forces. Il a écrit déjà en grande partie l’avant-dernier article sur les Critiques et fera le prochain sur Ponsard. — Lui seul et Joly étaient jusqu’ici dans la confidence. — Oserai-je, Monsieur, vous demander de taire encore notre secret à tout le monde et même mon indiscrétion à mes complices. Ce n’est pas contre la prudence, certes, c’est contre la foi promise que je vous livre le mot de l’énigme déjà trop devinée pour notre sûreté, notre succès, notre autorité surtout. Mais que voulez-vous ? Vous êtes notre Napoléon à nous autres, je me battais joyeusement et obscurément pour votre illustre cause ; mais puisque vous avez bien voulu m’apercevoir dans mon coin, je n’ai pu résister au désir de vous remercier de vos indulgentes et encourageantes paroles et au bonheur de vous dire que celui qui a essayé de montrer dans cette dernière occasion combien il vous appartenait, cœur et plume, s’appelle
    Paul Meurice.
  4. Bibliothèque Nationale. — Paul Meurice connaissait Victor Hugo depuis 1854 ; il lui avait été amené par son grand ami Auguste Vacquerie, comme lui élevé au lycée Charlemagne. Ils avaient alors seize et dix-sept ans. De ce jour leur admiration pour le poète devint un véritable culte. Paul Meurice surtout lui consacra la plus grande partie de sa vie. Journaliste, auteur dramatique, romancier, il connut de grands succès ; mais à travers son labeur personnel, il défendit passionnément la gloire et les intérêts du Maître ; il le représenta dans toutes ses affaires pendant l’exil ; en 1869 il lui écrivait : « C’est mon devoir, mon honneur et mon bonheur de vous servir. » Son premier article sur Victor Hugo date de 1842 (le Rhin venait de paraître). Chose curieuse : c’est tandis qu’il préparait, pour l’édition de l’Imprimerie Nationale, la publication du Rhin, que la mort le surprit le 11 décembre 1905. Il ne put achever l’ouvrage qu’il considérait comme le point culminant de son œuvre personnelle au point de vue social : Labor, mais il avait eu la joie d’organiser une nouvelle et dernière apothéose de son maître : le centenaire de Victor Hugo.