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petit écolier imprégné de je ne sais quel esprit de parti quand j’ai fait l’absurde et cruel vers dont vous vous plaignez si légitimement[1]. Ce vers, je l’ai jugé comme vous, plus sévèrement encore que vous.

Il n’a jamais été imprimé dans aucune édition de mes œuvres[2]. Il est resté dans la petite brochure violente et oubliée d’où je regrette qu’une mémoire malheureuse l’ait momentanément tiré.

Vous pouvez faire, monsieur, de ma réponse ce qu’il vous plaira. Plus que personne je plains et j’honore l’illustre maréchal Brune. Depuis près de vingt ans toute haine patriotique, tout préjugé de faction a disparu de mon esprit. Quand j’étais enfant, j’appartenais aux partis. Depuis que je suis homme, j’appartiens à la France.

Je vous remercie, monsieur, d’avoir provoqué cette explication ; je vous la donne avec empressement et joie.


À Monsieur Charles de Lacretelle.


Paris, 9 juillet 1844.

Votre excellente lettre, mon cher et vénérable ami, m’a fait un bien que je ne saurais vous dire. Dans cette mélancolie profonde où je suis, c’est un grand encouragement à porter la vie que la contemplation d’une âme de vieillard, belle, forte et sereine comme la vôtre. Il est doux et utile en même temps à nous, hommes plus jeunes, que la providence afflige et éprouve, d’arrêter notre pensée sur votre tête couverte de cheveux blancs, sur votre esprit plein de toutes les sagesses. Vous aussi vous avez vécu, vous avez lutté, vous avez souffert. Là où j’ai des plaies, vous avez des cicatrices. Aujourd’hui vous êtes calme, satisfait, résigné et heureux, et vous regardez avec douceur ce ciel majestueux d’où tombent sur nous tous les rayons qui éclairent nos yeux et tous les malheurs qui éclairent notre âme. Car cela n’est que trop vrai, le malheur est une clarté. Que de choses j’ai vues en moi et hors de moi depuis que je souffre ! La plus haute espérance sort du deuil le plus profond, remercions Dieu de nous avoir donné le droit de souffrir, puisque c’était nous donner le droit d’espérer.

Pour vous, mon respectable et excellent ami, vous êtes heureux dès à présent, dès ici-bas. Votre belle et noble vieillesse participe de ces joies promises à ceux qui sont élus. Qu’est-ce que l’éternité bienheureuse pourrait

  1. Voici ce vers publié en 1819 dans une plaquette intitulée : Le télégraphe :
    Et s’il fut plus d’un Brune, il est un Macdonald.
  2. Le télégraphe n’a été inséré qu’en 1912 dans l’Appendice des Odes et Ballades. Édition de l’Imprimerie Nationale.