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À Victor Pavie.


Paris, 17 septembre [1843].

Je ne vis plus, mon pauvre ami, je ne pense plus ; je souffre, j’ai l’œil fixé sur le ciel, j’attends. Que de belles et touchantes choses vous me dites ! Les cœurs comme le vôtre comprennent tout parce qu’ils contiennent tout. Hélas ! quel ange j’ai perdu !

Soyez heureux ! Soyez béni ! Ma bénédiction doit être agréable à Dieu, car près de lui les pauvres sont riches et les malheureux sont puissants.

Je vous serre tendrement la main.

V. H.


À Alphonse Karr, à Sainte-Adresse.


Paris, 18 septembre 1843.

Vous m’avez fait pleurer dans ce moment horrible[1] ; vous m’avez déchiré et soulagé ; merci, cher et noble Alphonse Karr. Vous avez un grand cœur ; vous avez bien parlé d’elle et de lui. Ma pauvre fille bien-aimée ! vous figurez-vous cela que je ne la verrai plus ?


À Édouard Thierry[2].


25 septembre 1843.

Nous voilà frappés tous les deux presque au même moment, vous dans votre père, moi dans ma fille. Que me diriez-vous et que pourrais-je vous dire ? Abaissons-nous sous la main qui brise. Pleurons ensemble. Espérons ensemble. La mort a des révélations ; les grands coups qui ouvrent le cœur ouvrent aussi l’esprit ; la lumière pénètre en nous en même temps que la douleur. Quant à moi, je crois ; j’attends une autre vie. Comment n’y croirais-je pas ? Ma fille était une âme ; cette âme, je l’ai vue, je l’ai touchée pour ainsi dire, elle est restée dix-huit ans près de moi, et j’ai encore le regard plein de son rayonnement ; dans ce monde même elle

  1. Alphonse Karr avait, dans les Guêpes, reproduit le récit qu’il avait publié dans le Siècle sur la mort de Léopoldine et de son mari.
  2. Édouard Thierry s’essaya d’abord dans la poésie ; il s’orienta en 1836 vers la critique dramatique : puis il sollicita l’appui de Victor Hugo pour obtenir une place de bibliothécaire à l’Arsenal, à Sainte-Geneviève, à l’Institut. Le poète s’entremit près de Villemain, mais échoua. Édouard Thierry devint en 1859 administrateur du Théâtre-Français et renoua à ce titre les relations interrompues ; mais si différentes de ton sont les lettres qu’il envoyait au proscrit en 1867, à la reprise d’Hernani, qu’on a peine à se figurer qu’il s’agit du même personnage confiant et enthousiaste d’avant l’empire.