Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/544

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est un brave et loyal garçon jeté dans les opinions extrêmes par trop d’âme et de cœur. Il est en prison pour je ne sais combien de temps encore, et comme il est affligé d’un embonpoint énorme et qu’il a besoin d’exercice, lequel lui manque, il se meurt et ne sortira évidemment pas vivant de St-Waast. Or, il n’a commis qu’un délit de presse, et il n’est pas condamné à mort. Je le connais depuis longtemps, je vous le garantis homme d’honneur et de probité, et républicain (inoffensif d’ailleurs) qui ne veut pas demander sa grâce, mais que sa grâce toucherait jusqu’au fond du cœur.

Je fais cette démarche près de vous sans son aveu. Je prends sur moi de demander sa grâce, prenez sur vous de la lui faire accorder. Cela sera digne et beau. Antony Thouret a une mère, une femme et un enfant.

J’écrirais bien à M. Duchâtel[1], mais je pense qu’il a sans doute oublié mon nom ; vous, je vous regarde toujours comme un ami. Parlez-lui. Il est ministre. Il doit bien pouvoir empêcher qu’un pauvre homme ne meure de consomption et de désespoir dans une prison pour avoir écrit quelques folies.

Vous êtes puissant aussi, vous, et vous êtes bon. Je vous recommande Thouret. Il y a quatre ans, vous m’avez demandé quelques vers pour des pauvres[2]. Je vous les ai faits. Faites-moi la grâce de Thouret.

Je l’espère de votre cœur et je vous serre la main.

Victor Hugo[3].


À Monsieur Jules Lechevalier,
directeur de la Revue du Progrès social.


1er juin 1834.


Monsieur,

J’ai lu avec une extrême attention la Revue du Progrès social et l’exposé de principes que vous avez bien voulu me communiquer. Depuis longtemps tous les hommes éclairés et intelligents qui ont étudié le passé dans un but d’avenir ont, sur les destinées futures de la société, une idée commune qui, éclose et développée à l’heure qu’il est séparément dans chaque cerveau, aboutira quelque jour, prochainement je l’espère, à une grande œuvre générale. Cette œuvre sera la formation paisible, lente et logique d’un ordre social où les principes nouveaux, dégagés par la Révolution française, trouveront enfin leur mode de combinaison avec les principes éternels et primordiaux de toute civilisation. Votre Revue et votre exposé tendent à ce but

  1. Alors ministre du Commerce.
  2. Voir page 465.
  3. Collection de Mme Aubry-Vitet.