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1821.


OCTOBRE-DÉCEMBRE.




Vendredi, 5 octobre.

Je t’avais écrit une longue lettre, Adèle ; elle était triste. Je l’ai déchirée. Je l’avais écrite parce que tu es le seul être au monde auquel je puisse parler si intimement de tout ce que je souffre et de tout ce que je crains. Mais elle t’aurait fait peut-être quelque peine, et je ne t’affligerai jamais volontairement de mes afflictions. Je les oublie toutes d’ailleurs quand je te vois ; tu ne sais pas, tu ne conçois pas, mon Adèle, combien mon bonheur est grand de te voir, de t’entendre, de te sentir près de moi ; maintenant qu’il y a deux jours que je ne t’ai vue, je n’y pense qu’avec une ivresse en quelque sorte convulsive. Quand j’ai passé un instant près de toi, je suis bien meilleur ; il y a dans ton regard quelque chose de noble, de généreux qui m’exalte, il me semble quand tes yeux se fixent sur les miens que ton âme passe dans la mienne. Alors, oh ! alors, ma bien-aimée Adèle, je suis capable de tout, je suis grand de toutes tes douces vertus.

Combien je voudrais que tu pusses lire tout ce qu’il y a en moi, que ton âme pût pénétrer dans la mienne comme ton sourire pénètre dans tout mon être ! Si nous étions seuls ensemble seulement une heure, Adèle, tu verrais combien je serais à plaindre, si je n’avais le plus grand des bonheurs et la plus douce des consolations dans l’idée d’être aimé de toi.

Je t’avais écrit toutes mes peines sans réfléchir que je t’écrivais des choses qui ne peuvent qu’être dites, et dites à toi seule. Tu sens, par exemple, que si j’ai à te parler de tout le mal que me font certains membres de ma famille, ce n’est qu’à toi et absolument à toi que peuvent s’adresser des épanchements si intimes, des confidences si délicates. Toi seule peux avoir dans ton âme des consolations pour ce genre de douleurs et d’ailleurs un