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À Mademoiselle Louise Berthin[1].


Lundi, 22 octobre 1832.

Mademoiselle, est-ce que vous me permettrez d’ajouter un troisième griffonnage aux deux griffonnages hideux que je vous envoie ? Didine et Charlot ont gribouillé à l’envi, comme vous voyez ; et je vous demande grâce pour eux comme pour moi.

Nous avons reçu ce matin votre bonne et charmante lettre. Didine m’a prié de la lire à haute voix, ce que j’ai fait à la satisfaction générale de ma populace de marmots. Ma femme a été attendrie jusqu’aux larmes de tout ce que vous écrivez de tendre et de gracieux à ces pauvres enfants. Je vous assure que toutes nos journées se passent à regretter les Roches, quand je ne suis pas dans la caverne de Saltabadil et de Maguelonne. Nous nous rappelons à chaque heure du jour quelque douce chose à laquelle elle était employée près de vous. Ligier[2] me disait hier à la répétition que je reconstruisais le théâtre français ; j’aimerais bien mieux bâtir avec vous un théâtre de cartes.

Le temps est beau, et je pense avec joie que l’admirable jardin des Roches n’est pas fermé par les pluies d’automne aux promenades de M. Bertin. Dites-lui bien, ainsi qu’à Mlle Bertin, à quel point je vous suis dévoué à tous. Vous ne me parlez pas d’Édouard qui travaille, j’espère, comme un diable, et qui est bien heureux de n’avoir pas besoin de faire jouer ses paysages. Serrez-lui la main pour moi, je vous prie.

Ma femme me charge expressément de vous prier de ne pas trop travailler et de penser beaucoup à nous. Il est inutile que je vous reparle de mon profond et respectueux attachement.

Je ferai chercher votre couteau, mais Didine se prétend sûre de ne pas l’avoir emporté. Je pense que vous le retrouverez dans quelque double fond de la boîte à couleurs.

Victor Hugo.
  1. Louise Bertin, compositeur et poète, fille de M. Bertin l’aîné, s’était prise d’adoration pour les enfants de Victor Hugo ; l’intimité était telle que le poète pouvait écrire à Mlle Louise : « Vous êtes comme une mère pour mes enfants ». — Mlle Bertin a laissé deux volumes de poésie : Les Glanes et les Nouvelles Glanes.
  2. Artiste dramatique. Il créa le rôle de Triboulet dans le Roi s’amuse.