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rappelais cependant les protestations du censeur de Marion de Lorme, et je me disais, sans trop y croire, qu’il existe peut-être des gens qui savent faire honnêtement un métier peu honnête.

Or, depuis que Hernani a été communiqué à la censure, voici ce qu’il advient. Des vers de ce drame, les uns à demi travestis, les autres ridiculisés tout entiers, quelques-uns cités exactement mais artistement mêlés à des vers de fabrique, des fragments de scène enfin, plus ou moins habilement défigurés et tout barbouillés de parodie, ont été livrés à la circulation. Des portions de l’ouvrage, ainsi accommodées, ont reçu d’avance cette demi-publicité tant redoutée à bon droit des auteurs et des théâtres. Les artisans de ces louches manœuvres ont du reste pris à peine le souci de se cacher. Ils ont fait la chose en plein jour, et pour leurs discrètes confidences ils ont choisi tout simplement des journaux. Cela ne leur a pas suffi. Cette pièce qu’ils ont prostituée à leurs journaux, les voilà qui la prostituent à leurs salons. Il me revient de toute part (et il s’est formé à cet égard une espèce de notoriété publique que j’atteste), que des copies frauduleuses d’Hernani ont été faites, que des lectures totales ou partielles de ce drame ont eu lieu en maint endroit, et notamment chez un employé supérieur du ministère de M. de Corbière[1].

Or, tout ceci est grave.

Il est inutile de faire ressortir l’influence que de pareilles menées peuvent avoir, dans le calcul de leurs auteurs, sur un ouvrage dramatique dont le sort se décide en deux heures, et souvent sans appel.

Maintenant d’où peuvent venir ces menées ? Sur quel manuscrit d’Hernani ont pu être faites ces parodies, ces contrefaçons avec variantes, ces copies frauduleuses, ces furtives lectures ; Je prie le ministre de faire attention à ceci.

Il n’existe hors de chez moi que deux manuscrits d’Hernani. L’un est déposé au théâtre. C’est celui sur lequel on répète tous les jours. Dès que la répétition est terminée, ce manuscrit est renfermé sous triple clef. Personne au monde ne peut en avoir communication. Le secrétaire de la Comédie-Française, auquel, dès la réception de la pièce, les plus sérieuses recommandations ont été faites, le tient secret sous la responsabilité la plus sévère. L’autre manuscrit est à la censure.

Or, des contrefaçons circulent. D’où peuvent-elles venir ? je le demande de nouveau. Du théâtre, dont elles ébranlent les espérances, dont elles ruinent les intérêts, du théâtre où la circonspection la plus complète est observée, du théâtre où la chose est impossible, — ou de la censure ?

  1. M. de Corbière quitta le ministère de l’Intérieur en janvier 1828, mais Victor Hugo parle ici d’un personnage ayant fait partie du ministère en 1827.