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impossible que le mien change. Et puis vous êtes indulgent, et c’est en cela que vous êtes un véritable ami. Vous me savez obéré, écrasé, surchargé, étouffé. La Comédie-Française, Hernani, les répétitions, les rivalités de coulisses, d’acteurs, d’actrices, les menées de journaux et de police, et puis, d’autre part, mes affaires privées, toujours fort embrouillées, l’héritage de mon père non liquidé, nos biens d’Espagne accrochés par Ferdinand VII, nos indemnités de Saint-Domingue retenues par Boyer, nos sables de Sologne à vendre depuis vingt-trois mois, les maisons de Blois que notre belle-mère nous dispute, par conséquent rien ou peu de chose à recueillir dans les débris d’une grande fortune, sinon des procès et des chagrins. Voilà ma vie ; le moyen d’être tout à ses amis quand on n’est pas même à soi ! Du moins, si je leur écris peu, je les aime toujours, et vous êtes des plus chers, des plus anciens, des plus désirés. Allez ! vous êtes au port, tenez-vous-y ! Moi, je nage, je lutte, je remonte le courant. Vous vous y laissez aller. C’est vous qui êtes le sage et l’heureux.

Victor.


1830.


[À Son Excellence le Ministre de l’Intérieur[1].]


5 janvier 1830.

Je soussigné, ai l’honneur d’exposer à Son Excellence le Ministre de l’Intérieur les faits qui suivent.

Lorsqu’au mois de juillet dernier, la Comédie-Française voulut monter le premier drame que j’aie destiné au théâtre, Marion de Lorme, je demandai à M. de Martignac, alors ministre, d’être exempté de la juridiction censoriale, et de n’avoir à subir d’autre examen que la censure même du ministre, faveur qu’il avait déjà accordée à plusieurs auteurs dramatiques. Voici de quelle façon je lui expliquai, et verbalement et par écrit, le tort qu’il pourrait me faire en livrant ma pièce aux censeurs.

« Les censeurs dramatiques sont tous pris dans les rangs littéraires qui nous sont opposés ; ce qui honore le parti de la liberté de l’art auquel je me fais gloire d’appartenir. (Non que je veuille faire rejaillir sur toute l’ancienne école la faute de quelques-uns de ses membres, mais c’est un fait que je constate en passant.) Or, ces censeurs, auteurs dramatiques pour la plupart, tous défenseurs intéressés de l’ancien régime littéraire en même temps que

  1. Le comte de Montbel.