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votre voyage, chaque détail de vos lettres m’a été précieux, j’y voyais saillir tous les bas-reliefs et reluire les vitraux gothiques des belles églises que vous avez visitées, heureux homme que vous êtes !

Tandis que vous courez ainsi de sensations en sensations, nous passons ici des jours qui se ressemblent tous. Vous savez notre train de vie ; seulement, voilà quelque temps que nous sommes sevrés de couchers de soleil. Il se couche maintenant pendant notre dîner, cela m’attriste. C’est le premier larcin que me fait l’approche de l’hiver.

Je voudrais bien vous envoyer des nouvelles d’ici, mais vous savez dans quelle solitude je vis. Je sais qu’Ancelot[1] vient de faire jouer son Olga, dont le Globe dit du bien. Il y a eu aussi dans le Globe un article stupide de M. C… R… sur votre beau livre. En revanche, le Provincial a dit à votre sujet d’assez bonnes choses que je vous garde pour votre retour. Nous avons bien parlé de vous avec tous nos amis. Les oreilles ont dû vous tinter. Il ne s’est pas dit un vers dans ma cellule qui n’ait fait regretter les vôtres. J’espère que vous nous en rapporterez d’Angleterre pour nous consoler de ce long jeûne. J’ai annoncé hier à madame votre mère votre prochain retour. Elle m’a chargé de vous dire qu’elle se portait bien et désirait vivement vous embrasser. Pas plus vivement que nous tous, à coup sûr, toute votre mère qu’elle est.

Sans adieu, bien cher ami. Revenez-nous vite. Je vous recommande Canterbury. C’est une cathédrale à vous remuer et à vous ravir d’enthousiasme. Ce que vous me dites des restaurations de Westminster m’afflige[2]. Les anglais ont la manie de mêler le fashionable au gothique.

À bientôt. Nous vous embrassons tous bien tendrement.

Victor.

M. Le Prévost[3], qui sera bien ravi de vous voir, demeure rue Fontenelle, à Rouen. — Nous attendons ici Lamartine. Paul, Boulanger, les Devéria, David, qui ne va pas à Londres, vous embrassent et vous remercient[4].

  1. Ancelot, auteur dramatique fécond ; on cite de lui Louis XI et Olga représentés en 1819 et 1828 au Théâtre-Français.
  2. « ... J’ai vu Westminster-Abbey ; il faut dire que c’est admirable en somme, puis regretter en détail tant de mauvais goût dans les tombes qui remplissent l’église, tant de restaurations d’un gothique moderne trop simple… » 12 septembre 1828. Gustave Simon. Lettres de Sainte-Beuve à Victor Hugo et à Mme Victor Hugo. Revue de Paris, 15 décembre 1904.
  3. Léon Le Prévost, savant archéologue normand ; chaque fois qu’il venait à Paris, il allait voir Victor Hugo ; en 1831 il fut ordonné prêtre.
  4. Archives Spoelberch de Lovenjoul.