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Ne me croyez pas pourtant, cher ami, aussi coupable que je le parais. J’ai des épreuves à corriger, des visites à recevoir, de gros livres à lire, des affaires à suivre ; j’ai écrit, ce mois-ci, trois lettres à des notaires et avoués. Jugez quelle fatigue il y a dans tout cela ! Et puis, la meilleure raison, c’est que je suis paresseux. Vous êtes indulgent, vous, et vous voudrez bien m’aimer comme cela, et penser qu’entre les lettres de Lamartine, de l’abbé de Lamennais, de Chateaubriand, les vôtres sont encore de celles auxquelles je réponds le plus vite. Vous occupez-vous, comme vous me l’avez promis, de la petite maison gothique près d’Angers[1] ? De grâce, envoyez-moi, dans votre prochaine lettre, des détails sur cette affaire, si pourtant vous voulez toujours de moi qui veux toujours de vous.

Sainte-Beuve vient de publier son livre[2], qui est excellent. Boulanger[3] va vous envoyer sa Saint-Barthélemy, qui est magnifique. Vous voyez que Paris pense à Angers.

Adieu, adieu. Paul se plaint de la rareté de vos lettres. Il a raison : elles sont rares de toutes manières. Adieu. Mille choses de nous tous à vous tous.

V. H.


À Monsieur Sainte-Beuve,
Tubney Lodge, near Oxford. — England.


Paris, le 17 septembre 1828[4].

Vos deux lettres, cher ami, ont été une vive joie pour moi. J’avais pris, je l’avoue, cette douce habitude de vous voir souvent, d’échanger mes idées avec vos idées, de rêver quelquefois à l’harmonie de vos vers ; votre absence me laissait un grand vide. Elle me dépeuplait presque la rue Notre-Dame-des-Champs. Vos deux lettres sont venues, bien bonnes et bien belles qu’elles sont, nous rendre quelque chose de votre vive et haute conversation, de la poésie de votre cœur et de votre esprit.

Je ne saurais vous dire avec quelle curieuse avidité je vous ai suivi dans

  1. En 1830, Victor Pavie s’en occupait encore, mais Victor Hugo ne se décidait pas. « … Un joli castel dans la Loire, des prés, des grèves, des poules, des vaches, du lait, une lieue de nous, 1 500 fr. de rente, le tout payable en 10, 15, 20 ans, à l’indéfini. » Lettre de Victor Pavie, 10 avril 1830.
  2. Tableau historique et critique de la poésie française et du théâtre français au XVIe siècle.
  3. Boulanger fut un peintre célèbre de la première moitié du XIXe siècle ; Le supplice de Mazeppa, exposé en 1827, eut un véritable triomphe. On compte de lui une trentaine d’illustrations pour les œuvres de Victor Hugo et on put l’appeler « le peintre de la famille Hugo » ; la Maison de Victor Hugo possède les portraits du poète et de sa femme, celui de Léopoldine enfant, de Paul Foucher, etc. Plusieurs poésies de Victor Hugo lui sont dédiées et pas un nuage ne troubla l’amitié du peintre et du poète.
  4. Note de Sainte-Beuve : « Pendant que je suis en Angleterre, 1828. »