Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/444

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui dépasse ma force. Laissez faire votre pensée ; laissez votre nature achever votre éducation : elle est déjà si admirablement commencée ! Vous ferez, monsieur, tout ce que vous voudrez. Je ne sache rien de grand et de fort que ne promettent vos premières poésies. Cet état même de transition où vous êtes et que vous peignez si bien annonce la crise d’une jeune imagination qui se développe puissamment.

Vous avez été assez bon pour citer mon nom dans un article du dernier Feuilleton où s’empreint votre originale pensée. Je vous remercie ; vous voulez qu’aucun sentiment ne manque à mon affection pour vous ; elle a commencé par la reconnaissance.

Adieu, monsieur. Je n’ai que ce conseil à vous donner : faites de beaux vers et d’excellente prose, et cette prière à vous faire : aimez-moi.

V. H.

Mes souvenirs, de grâce, à monsieur votre père, et ne m’affranchissez point vos lettres ; c’est un soin que mes amis ne prennent jamais.


À Sainte-Beuve[1].

Je communiquais l’autre matin à monsieur de Sainte-Beuve quelques vers de mon Cromwell. S’il avait velléité d’en entendre davantage, il n’a qu’à venir lundi soir avant huit heures, chez mon beau-père, rue du Cherche-Midi, hôtel des Conseils de guerre. Tout le monde sera charmé de le voir et moi surtout. Il est du nombre des auditeurs que je choisirai toujours, parce que j’aime à les écouter.

Son bien dévoué
VorHugo.

Une ligne de réponse, s’il vous plaît[2].

Ce jeudi 8 [février 1827].
  1. Sainte-Beuve se destinait à la médecine ; mais dès 1824 il écrivit au Globe des articles de critique littéraire fort remarqués, ce qui le décida, en 1827, à se consacrer à la littérature : les succès qui l’attendaient justifièrent son choix. Il publia plusieurs volumes de vers et deux romans, de grands et beaux travaux sur Port-Royal, mais il dut surtout sa renommée à une critique de plus en plus appréciée qui fit de lui, pendant quarante-cinq ans, un maître très écouté et surtout très redouté.
    En 1827, un article de lui sur les Odes et Ballades qui venaient de paraître lui fit connaître Victor Hugo ; il lui communiqua ses premiers vers, et bientôt s’établit entre eux une intimité, une amitié toute fraternelle, les lettres qu’on va lire en font foi ; en quelques années cette amitié se changea, chez Sainte-Beuve, en une haine maladive : il aimait Mme  Victor Hugo. À quels excès de rage, de vengeance ont pu le porter cet amour et cette haine, on en jugera par ces lettres d’abord, et plus encore par le livre : Mes poisons, journal intime du malheureux Sainte-Beuve, trop disgracié pour n’être pas méchant.
  2. Archives Spoelherch de Lovenjonl.