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J’espère trouver à Reims un gros paquet de tes lettres tendres et douces qui me font tant de bien et dont ton cœur d’ange a le secret.

Garde cette pauvre Augustine, mon Adèle, tu as raison, c’est une bonne action, à laquelle ta bonne mère de Blois sera charmée de s’associer. Garde cette pauvre orpheline, nous l’emmènerons puisqu’elle est dévouée et reconnaissante. Cela est trop rare pour ne pas se récompenser. Ensuite tout cela s’arrangera du mieux qu’on pourra. Garde-la, mais dis-lui tout ce qui peut lui faire sentir ce qu’elle te doit et lui donner du zèle et du soin.

Ne te tourmente pas, mais ne te contiens pas. Si tu as envie de pleurer, pleure. Les larmes qui restent font du mal, celles qui coulent font du bien. Je voudrais bien, moi, pouvoir et savoir pleurer. Mais j’ai toujours le cœur gonflé parce que j’ai toujours les yeux secs.

Tes bons parents continuent à m’entourer d’attentions. Remercie bien les miens pour moi. Dis à mon excellent père combien je le reconnais à cette bouteille qui ne doit se vider qu’à ma santé. Dis à sa femme que tout le monde ici l’aime et a raison. Nous parlons toujours de Blois ; Mlle  Duvidal me disait hier, à propos de mon père, que rien n’était plus noble et plus vénérable au monde qu’un vieux soldat qui avait conquis son haut rang par de hautes actions et de grands talents. C’est aussi mon opinion, mais j’ai été heureux de l’entendre sortir de cette âme élevée et généreuse. J’ai été heureux de voir parler de mon illustre père comme j’en parle moi-même, comme j’en parlerai toujours, comme la postérité en parlera.

Je reprends mon journal. J’ai vu hier M. de La Rochefoucauld qui a été fort aimable et m’a donné rendez-vous à Reims. M. de Cailleux[1] sera notre quatrième compagnon de voyage. Il m’a dit faire ce voyage pour être avec moi. J’ai voulu voir le ministre de la Guerre ; il était à la Chambre. Son secrétaire me donnera les renseignements que je voulais demander au ministre. Du ministère, mon cabriolet m’a conduit chez mon tailleur auquel j’ai commandé ma culotte. En passant devant le Palais-Royal j’ai vu Ladvocat, qui court déjà après l’ode future. Je ne sais encore ce que j’en ferai, si je la fais. Ma troisième édition s’avance. Les gravures nous retardent. J’ai été chez Villemain. Sa mère m’a offert pour toi une fenêtre sur le passage du roi. Hélas, chère amie, comme cette offre m’a attristé ! — J’ai terminé mes courses du jour par mon imprimeur, toujours occupé du titre et de la couverture. Je crains de ne pouvoir rapporter cette troisième édition à Blois. Ladvocat voudrait publier l’ode en même temps à part, avec notes, préface et bagage. Il la ferait insérer partiellement dans tous les journaux, qui sont, m’a-t-il dit, fort bien pour moi maintenant. Voilà des projets. Pourvu

  1. Peintre et littérateur, secrétaire général des Musées royaux.