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moi. Ton bon père se joint à nous, il est toujours gai, cordial et spirituel, comme le mien ; mais chacun à sa manière. Embrasse pour moi mon noble et charmant père, et celle qui ne fait qu’une chair et qu’un cœur avec lui. Je te recommande bien à leurs tendres soins. Il faut que tu sois mieux avec eux qu’avec moi. Ils sont si bons que cela ne leur sera pas difficile.

Je t’écris dans notre chambre nuptiale[1], dont le séjour me fait encore plus sentir mon veuvage. Tout m’est redevenu étranger ici depuis que tu me manques. En entrant dans Paris, je l’ai admiré comme un provincial. Il me semblait que ce n’était pas mon pays. C’est toi qui es ma patrie.

Écris-moi tous les jours.

Ton Victor.

Écris-moi ici une lettre, et toutes les autres poste restante à Reims. Je dîne dimanche chez Mme  Duvidal, qui arrange le petit portrait et travaille à celui de Juju. Juju est embellie. Prie papa d’écrire à Victor Foucher pour le remercier de l’envoi de son livre. Quatre lignes affectueuses suffiront[2].


À Madame Victor Hugo,
chez Monsieur le général comte Hugo, Blois.
Paris, 21 mai.

Voici mon seul moment heureux dans tout le jour, mon Adèle. Je vais m’entretenir avec toi et oublier un instant peines, fatigues, chagrins et embarras. Tu es là, présente à ma pensée, sans que rien vienne me distraire de toi. Tu verras ce papier, tu le toucheras, il me devancera près de toi de douze ou treize jours, c’est comme un messager auquel tu vas faire mille questions. Il est bien heureux !

Je suis donc ici depuis hier matin, et je vais te rendre compte de l’emploi de mon temps. En arrivant j’ai trouvé ton père et ta mère au lit ; Paul m’a sauté au cou, et les mille interrogations ont commencé. Nous avons déjeuné, ton papa m’a fait de la sauce de homard ; le café et la crème étaient excellents. Après déjeuner, je t’ai écrit la lettre que tu recevras aujourd’hui. Comme je revenais de la mettre moi-même à la poste, Mlle  Julie[3] montait me voir. Je me suis habillé, et je suis descendu à son atelier, où l’interrogatoire a recommencé. Comment se porte Adèle ? et Didine ? et le général ? et sa

  1. Nous rappelons que Victor Hugo et sa femme demeurèrent jusqu’en 1824 chez M. Foucher, Hôtel des Conseils de Guerre.
  2. Bibliothèque nationale.
  3. Julie Duvidal de Montferrier.