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à son sacre. Vous allez vous réjouir, vous qui m’aimez, et je vous assure que le plaisir que cette nouvelle vous fera augmente beaucoup ma propre satisfaction. Il y a entre nous une telle fraternité de sentiments et d’opinions, qu’il me semble que ma croix est la vôtre, comme la vôtre serait la mienne. Ce qui accroît beaucoup le prix de cette croix à mes yeux, c’est que je l’obtiens avec Lamartine, par ordonnance spéciale qui ne nomme que nous deux, attendu, a dit le roi, qu’il s’agit de réparer une omission. Ces deux décorations ne comptent pas dans le nombre donné au sacre.

Ce qui ajoute aussi un grand charme à mon voyage de Reims, c’est l’espérance de le faire avec notre Charles Nodier[1], auquel j’ai écrit hier, pour qu’il s’arrange de manière à m’avoir pour compagnon. Je dois ajouter à tout ceci que M. de La Rochefoucauld a été charmant, dans cette circonstance, pour Lamartine et moi. Il est impossible de s’effacer plus complètement pour laisser au roi toute la reconnaissance, de mettre plus de grâce et de délicatesse dans ses rapports avec nous. C’est à lui que nous devons nos croix, et c’est lui qui nous remercie. Je dois cette justice haute et entière à un homme qui ne l’obtient pas toujours.

Je vais donc vous revoir, cher ami, et il me faut cette espérance pour apporter quelque adoucissement au chagrin de quitter mon Adèle pour la première fois. Dites tout cela à ceux de nos bons amis auxquels je n’aurai pas le temps d’écrire.

Votre canif est beau et excellent ; votre dessin est d’une bizarrerie charmante. Mille fois merci, et merci surtout de votre franche et tendre amitié.

Personne ne vous aime plus que moi.

Victor[2].


À Monsieur le comte Alfred de Vigny,
rue Richepanse, Paris.
Blois, 28 avril 1825.

Il ne faut pas, cher Alfred, que vous appreniez d’un autre que moi les faveurs inattendues qui sont venues me chercher dans la retraite de mon père. Le Roi me donne la croix et m’invite à son sacre. Réjouissez-vous,

  1. Ami de Victor Hugo et, d’après Biré, « le frère aîné des romantiques » ; ses contes et ses romans sont presque tous peuplés de vampires, de démons, de lutins ; il a publié de nombreux ouvrages scientifiques, historiques et bibliographiques. Admirateur passionné de Shakespeare et de Gœthe. Il mourut bibliothécaire de l’Arsenal.
  2. D’après une copie prise dans les Archives Spoelherch de Lovenjoul. L’original était dans la collection du baron de Stassart, à l’Académie royale de Belgique, à Bruxelles. Il en disparut en 1914-1918, pendant l’occupation de la Belgique.