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Au général Hugo.


24 juillet 1823.
Mon cher papa,

Si je ne t’ai point encore annoncé moi-même l’événement qui te donne un être de plus à aimer, c’est que j’ai voulu épargner à ton cœur de père les inquiétudes, les anxiétés, les angoisses qui m’ont tourmenté depuis huit jours. La couche de ma femme a été très laborieuse ; les suites jusqu’à ce jour ont été douloureuses ; l’enfant est venu au monde presque mourant ; il est resté fort délicat ; le lait de la mère, affaibli par la grande quantité d’eau dont elle était incommodée, et échauffé par les souffrances de la grossesse et de l’enfantement, n’a pu convenir à une créature aussi faible. Nous avons été contraints, après des essais qui ont presque mis ton petit-fils en danger, de songer à le faire nourrir par une étrangère. Tu ne peux te figurer combien j’ai eu de peine à y déterminer mon Adèle, qui se faisait une si grande joie des fatigues de l’allaitement. Ce qui a pu seulement l’y décider, ce n’est pas le péril que sa propre santé eût couru réellement, mais celui qui eût menacé l’enfant ; elle a donc sacrifié courageusement à l’intérêt de son fils son droit de mère, et nous avons mis l’enfant en nourrice. Nous avons été assez heureux pour trouver dans ce cas urgent une fort belle nourrice habitant notre quartier, et, quoique ces femmes soient fort chères à Paris, l’instante nécessité et la facilité d’avoir à chaque moment des nouvelles de ton Léopold m’ont fait accepter cette charge avec joie.

Maintenant enfin, après tant d’inquiétudes et d’indécisions, je puis te donner de bonnes nouvelles. Mon Adèle bien-aimée se rétablit à vue d’œil : nous avons l’espoir que le lait sera bientôt passé ; l’enfant, fortifié par une nourriture saine et abondante, va très bien et promet de devenir un jour grand-père comme toi.

Tu vois, bon et cher papa, que je t’ai dérobé ta part dans des anxiétés que tu aurais certainement ressenties aussi cruellement que moi. Voilà la cause d’un silence que tu approuveras peut-être après l’avoir blâmé. Ta joie à présent peut être sans mélange comme la nôtre, qui s’accroît encore bien vivement par l’idée de te serrer bientôt dans nos bras.

Adieu, notre excellent père. Viens vite, remercie-moi, je t’ai donné il y a neuf mois une fille qui t’aimera comme moi ; nous te donnons mainte-