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devoir garder le silence. Par bonheur, la Providence s’en mêla, et voulut bien, dans le même temps, donner à la France l’héritier royal qu’elle attendait : le duc de Bordeaux, l’enfant du miracle, naquit. Sur-le-champ Victor fit une ode, l’imprima dans le Conservateur littéraire d’abord, puis dans une plaquette tirée à part, et envoya cette plaquette à M. Foucher, avec une dédicace dont on peut croire qu’il soigna les épithètes. Cette fois, le bon M. Foucher ne pouvait, sans manquera la courtoisie la plus élémentaire, se dispenser de répondre, pas fâché d’ailleurs peut-être de cette obligation d’être poli. Cependant, très correct, il n’écrivit pas à Victor, c’est à Mme  Hugo qu’il adressa la lettre suivante :

Paris, 15 octobre 1820.
Madame,

J’avais à remercier M. V. Hugo de son article flatteur sur le Manuel du recrutement. J’ai de nouveaux remerciements à lui faire pour le don d’un exemplaire de son ode sur la Naissance du duc de Bordeaux. Ma femme est de moitié dans cette dette, car elle a pris sa bonne part du plaisir que ces vers nous ont fait.

Les passages : tel un fleuve mystérieux ; oui, sourit, orphelin, ont été sentis d’un auditoire qui n’est cependant pas poétique. Vous le savez, personne chez nous ne sait juger les vers.

J’aurais entretenir ces messieurs de certaines œuvres qui seraient une abondante pâture pour la critique. Je me propose de les voir et de vous renouveler, madame, les assurances de notre respectueux et sincère attachement.

Votre très humble et très obéissant serviteur,

P. Foucher.

C’était un petit rapprochement, et Victor fut assurément heureux, ne fût-ce que pour une seule et banale visite, de revoir chez lui le père d’Adèle. Mais Adèle, Adèle elle-même, ne la reverrait-il donc jamais ?

Adèle, en ce temps-là, prenait des leçons de dessin d’une amie. Mme  Duvidal, qui, depuis, devint la femme d’Abel Hugo, le frère aîné de Victor. Mme  Duvidal demeurait dans le quartier, et Victor savait que, presque tous les matins, Adèle se rendait chez elle, seule, en voisine. Au mois de février 1821, il prit un grand parti, brava toutes les défenses, affronta tous les risques, alla rôder le matin autour de la maison d’Adèle, la vit sortir, la suivit, et, quand elle fut à quelque distance, osa l’aborder et lui adresser la parole.

Comment le reçut-elle ? Le cœur battant sans nul doute, mais battant de joie encore plus que de crainte. Le fait est qu’elle l’écouta, lui répondit, ne lui défendit pas de revenir. Puis elle accepta, elle écrivit des billets qui bientôt s’allongèrent en lettres.

Ces lettres sont tendres d’abord ; elles ne tardent pas à devenir inquiètes et même orageuses. On s’est revu, et c’est un grand bonheur ; mais on se revoit hors de la maison paternelle, dans la rue, et c’est un grave péril. Les premiers jours passés, Adèle s’aperçoit vite des risques que court sa réputation de jeune fille à se promener ainsi dans son quartier côte à côte avec un jeune homme. Elle commence par abréger ces rencontres hasardeuses, elle veut un jour les supprimer ; Victor désespéré se fâche, et elles recommencent ; mais Adèle obtient de les espacer de mois en mois. Par force majeure elles vont d’ailleurs bientôt cesser tout à fait.