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lettre charmante où il me dit que cette ode l’a fait pleurer ; je vous répète cet éloge, mon ami, parce qu’il vous concerne aussi, vous qui avez entre les mains le procès-verbal de l’enfantement de cette œuvre[1]. Qu’est-ce, auprès de votre adorable Symétha !

Je regrette de ne pouvoir vous rendre votre charmante preuve d’amitié en signant Alfred ; mais du moins suis-je sûr, puisque vous signez Victor, que l’illustration ne manquera pas à ce nom-là.

Tout cordialement à vous.

Votre ami,
Hugo.

Abel vous répondra incessamment, il est enchanté de votre lettre. Si je vais à la Roche-Guyon[2], je n’y pourrai aller que vers le mois d’août.


Au général Hugo[3].
[28 juin 1821.]
Mon cher papa,

Nous avons une nouvelle affreuse à t’annoncer. Aujourd’hui que tout est fini et que nous sommes plus calmes, je trouverai des expressions pour te l’apprendre. Tu sais bien que maman était malade depuis longtemps. Eh bien ! hier, à trois heures de l’après-midi, après trois années de souffrances, un mois de maladie et huit jours d’agonie, elle est morte. Elle a été enterrée aujourd’hui à six heures du soir.

Notre perte est immense, irréparable. Cependant, mon cher papa, tu nous restes et notre amour et notre respect pour toi ne peuvent que s’accroître de ce qu’il ne nous reste plus qu’un seul être auquel nous puissions reporter la tendresse que nous avions pour notre vertueuse mère. Dans cette profonde douleur, c’est une consolation pour nous de pouvoir te dire qu’aucun fiel, aucune amertume contre toi n’ont empoisonné les dernières années, les derniers moments de notre mère. Aujourd’hui que tout disparaît devant cet horrible malheur, tu dois connaître son âme telle qu’elle était : elle n’a jamais parlé de toi avec colère et les sentiments profonds de respect et d’at-

  1. Louis de Baraudin, oncle maternel d’Alfred de Vigny, avait été fusillé à Quiberon le 12 thermidor, an III. C’est peut-être le récit de cette mort qui avait inspiré Victor Hugo.
  2. Chez le duc de Rohan, qui avait invité Victor Hugo à l’aller voir. Le duc de Rohan-Chabot, ancien mousquetaire, entra dans les ordres après avoir perdu sa femme ; il connut Victor Hugo en 1820, assista en 1821 à l’enterrement de sa mère. Il crut, comme Lamennais, trouver dans ce jeune poète le chantre du catholicisme et lui témoigna dès lors une vive sympathie.
  3. Inédite.