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À Raynouard, auteur des Templiers.


Ô Raynouard, toi qui d’un Ordre auguste
Nous traças en beaux vers le châtiment injuste ;

Qui, dédaignant l’amour et ses molles douleurs.
Sur l’austère vertu nous fis verser des pleurs ;
Toi qui bientôt encor, dans tes fécondes veilles,
Des exploits de Judas[1] nous diras les merveilles ;
Pardonne !… interrompant de si nobles travaux,

Un jeune élève de Virgile

Ose de sa Muse inhabile

T’adresser les accords nouveaux.
Il te doit tout : c’est toi dont l’indulgence

Sut arracher au gouffre de l’oubli

Son faible essai dans l’ombre enseveli.
De sa Muse accueillant l’enfance,
Tu fis plus ; tu voulus, dans le sénat des arts
Sur elle attirer les regards.
Ces vers sans art échappés à ma veine
D’un tel honneur étaient dignes à peine ;
Mais que ne pouvaient sur les cœurs
Cet amour que Virgile a peint en traits vainqueurs,
Le souvenir d’Élise abandonnée

D’un triste hymen invoquant les vains droits
Et réclamant contre l’ingrat Énée
L’appui des Dieux qui l’ont seuls condamnée ?
Que ne pouvait le charme de ta voix ?

De cette voix dont la mâle énergie,
Quand la patrie en deuil redemandait ses rois,

Déployant des vertus l’éloquente magie,
Apprit au tyran même à respecter nos lois ?
C’est à ta voix encor, c’est à son harmonie
Qu’est dû tout le succès de mon humble génie.
Ce qui fait mon bonheur fait aussi mon orgueil :

Virgile et toi protégiez ma faiblesse.
Ces vers nouveaux que je t’adresse
Recevront-ils le même accueil ?
Dans le sein de Virgile ils n’ont point pris naissance,

Ton organe flatteur n’a pas accru leur prix,

Mais ils sont inspirés par la reconnaissance,
Et c’est pour toi qu’ils sont écrits.
  1. Sic.