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porte, malgré toutes les réflexions, certes un peu amères, qu’elles suggèrent, elles sont délicieuses, ces Lettres à la Fiancée. Un frais parfum s’en exhale, comme des fleurs cueillies à l’aurore, toutes scintillantes encore de rosée ; elles sont comme imprégnées de cette douce lueur qui, lorsque la nuit, pour s’envoler, se soulève, précède, à l’horizon, les premiers feux du soleil ; on les lit avec un sourire attendri, charmé, avec une larme tremblante au bout des cils.


Le Temps.

2 mars 1901.

Jules Claretie.

... Ces papiers jaunis qui étaient là, en un petit paquet, sur la table de travail de Paul Meurice, c’étaient ces lettres chantées jadis, saluées par le poète, et dont tous les hommes qui ont aimé ont dit à leur tour après lui, dans la langue immortelle que le vulgaire, s’écriait Musset, ne parle pas :

Ô mes lettres d’amour, de vertu, de jeunesse,
C’est donc vous ! Je m’enivre encore à votre ivresse,

Je vous lis à genoux !

C’étaient les lettres où le poète célébrait cette volupté de la rêverie, de l’espoir et de la foi, de tout ce qui est le charme victorieux des vingt ans.

... Un chef-d’œuvre de passion chaste, de pureté et de tendresse. Telles de ces lettres prendront place désormais dans les recueils choisis de correspondances célèbres… C’est un livre nouveau ajouté à notre littérature intime, un roman vécu, comme on dit aujourd’hui, ou plutôt une idylle exquise, pareille à celle que l’auteur des Misérables place dans une rue disparue du vieux Paris et où la mélancolie de Marius répond au sourire de Cosette.

... Et dans toute cette correspondance du poète qui est encore Victor-Marie Hugo et qui sera bientôt Victor Hugo, rien non plus de romantique et de tonitruant dans la forme. Une seule fois on prévoit le Victor Hugo d’Hernani, c’est lorsqu’il s’écrie : Malgré les obstacles qui se présentent dans l’avenir, je suis tout prêt à crier comme Charles XII : « Dieu me l’a donnée, le diable ne me l’ôtera pas ». Mais ce n’est pas là le ton ordinaire. Ce n’est ni Werther, ni Lara, ni Jacques Ortis qui écrit, c’est un laborieux et brave garçon, confiant dans son amour du travail autant que dans son génie, qui pauvre, ennemi de tout mensonge et de toute bohème, jure à celle à qui il veut donner son nom de lui assurer, sinon la fortune, du moins la vie. Car ils sont pauvres. Et quoi de plus touchant que ces débuts des grands hommes admirables dans leur courage autant que dans leurs œuvres !


La Dépêche de Toulouse.

10 mars 1901.

Camille Pelletan.

… C’est un recueil singulièrement précieux que celui que mon vieil ami Paul Meurice vient de publier : toute la correspondance amoureuse de Victor Hugo fiancé. À ce moment, le grand poète sortait à peine de l’adolescence. Il avait dix-sept ans quand il commença cet échange de lettres avec Adèle Foucher ; il avait tout juste vingt ans quand il l’épousa. C’est chose étrange que le développement de cette étrange nature.

Nous avons connu un Victor Hugo cordial, expansif, plein de sève gauloise, encore dans toute la force de la jeunesse à soixante-dix ans. Le Victor Hugo de la première jeunesse était grave, renfermé, et d’une sorte de puritanisme extraordinaire, jusqu’à reprocher amèrement à sa fiancée de ne point traîner sa robe dans la boue plutôt que de risquer de laisser voir sa cheville. Au début de ses amours, il était encore sous l’autorité de sa mère qui adorait ses enfants, qui était adorée par eux, mais qui les tenait d’une main de fer. Victor Hugo, déjà célèbre, était resté un enfant enfermé et tremblant sous le pouvoir maternel. Par un étrange contraste, il avait déjà, à quinze ans, la pleine maturité de la forme littéraire, tandis que pour les choses de la vie il commençait à peine à être un homme à vingt ans. Mais l’enfant qu’il resta assez tard, habitué qu’il était par une discipline rigoureuse à comprimer violemment en lui le monde d’idées et de passions qui germait au fond de son génie, prenait volontiers une attitude roide et sévère qui ressemblait presque à celle d’une vieillesse prématurée. Il est visible que les aventures juvéniles qu’il a si gaillardement et si admirablement chantées dans Les Chansons des rues et des bois n’ont jamais eu