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28 mars.

Tu me demandes quelques mots, Adèle, et que veux-tu que je te dise que je ne t’aie déjà dit mille et mille fois. Veux-tu que je te répète que je t’aime ? Mais les expressions me manquent... Te dire que je t’aime plus que la vie, ce ne serait pas te dire grand’chose, car tu sais que je ne suis pas fou de la vie. Il s’en faut ! À propos, je te défends, entends-tu, je te défends de me parler davantage de mon mépris, de mon manque d’estime pour toi. Vous me fâcheriez sérieusement si vous me forciez à vous répéter que je ne vous aimerais pas, si je ne vous estimais pas. Et d’où viendrait, s’il te plaît, mon manque d’estime pour toi ? Si l’un de nous deux est coupable, ce n’est certainement pas mon Adèle. Je ne crains cependant pas que tu me méprises, car j’espère que tu connais la pureté de mes vues. Je suis ton mari, ou du moins je me considère comme tel. Toi seule pourras me faire renoncer à ce titre. Que se passe-t-il autour de toi, mon amie ? Te tourmente-t-on ? Instruis-moi de tout. Je voudrais que ma vie pût t’être bonne à quelque chose.

Sais-tu une idée qui fait les trois quarts de mon bonheur ? Je pense que je pourrai toujours être ton mari, malgré les obstacles, ne fût-ce que pour une journée. Nous nous marierions demain, je me tuerais après-demain, j’aurais été heureux et personne n’aurait de reproches à te faire. Tu serais ma veuve. — N’est-ce pas, mon Adèle, que cela pourra, dans tous les cas, s’arranger ainsi ? Un jour de bonheur vaut bien une vie de malheur. Écoute, pense à moi, mon amie, car je ne pense qu’à toi. Tu me dois cela. Je m’efforce de devenir meilleur pour être plus digne de toi. Si tu savais combien je t’aime !... Je ne fais rien qui ne soit à ton intention. Je ne travaille uniquement que pour ma femme, ma bien-aimée Adèle. Aime-moi un peu en revanche.

Encore un mot. Maintenant tu es la fille du général Hugo. Ne fais rien d’indigne de toi, ne souffre pas que l’on te manque d’égards ; maman tient beaucoup à ces choses-là. Je crois que cette excellente mère a raison. Tu vas me prendre pour un orgueilleux, de même que tu me crois fier de tout ce qu’on appelle mes succès, et cependant, mon Adèle, Dieu m’est témoin que je ne serai jamais orgueilleux que d’une seule chose, c’est d’être aimé de toi.

Adieu, tu me dois encore huit baisers que tu me refuseras sans doute éternellement. Adieu, tout à toi, rien qu’à toi.

V.