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Vendredi, 9 heures du soir[1].

Ne te plains pas, chère amie, je vais encore t’écrire ce soir. Que pourrais-je faire en te quittant ? J’ai l’âme pleine de toi, il faut bien qu’elle s’épanche un peu avec toi. J’ai eu ce soir une joie et une peine, la joie de te voir bien portante et le chagrin de penser que tu seras peut-être cette nuit dérangée dans ton sommeil chéri. Tous les jours, Adèle, je sens de plus en plus combien je suis malheureux de n’être pas encore ton mari. De combien de tourments et d’ennuis ne te sauverais-je pas à présent ? Et quel bonheur !… — Ô Dieu ! je n’y veux pas penser, car ma vie actuelle me serait insupportable. Adèle, à peine te vois-je deux heures par jour ! D’autres que moi ont ton premier regard, ton premier sourire, quand j’arrive, tu as déjà eu dans la journée des chagrins ou des plaisirs qui ne te sont point venus de moi, comme si d’autres avaient le droit de te faire éprouver une sensation !

Il faut donc se résigner. Ô quel jour pourrai-je donc cesser de t’écrire ? Quand seras-tu à moi ?

Adieu pour ce soir, je t’embrasse comme je vais baiser ton mouchoir, et tes cheveux, tous tes cheveux ![2]

  1. Inédite.
  2. Collection Louis Barthou.