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qui n’est que le désir si naturel de m’intéresser à tout ce dont tu as été occupée. Maintenant donc, Adèle, je ne craindrai plus cela.

Oh ! racontons-nous toujours l’un à l’autre nos moindres chagrins et nos moindres joies, ces épanchements, cette ravissante intimité, sont le droit et le devoir de l’amour. Il en est de cette confiance, ma chère et charmante Adèle, comme de la jalousie dont nous parlions ce soir. Elle est de l’essence de l’amour véritable. Je te parle, Adèle, de cette jalousie chaste et tendre, qui se concilie si bien avec le respect, l’estime, l’enthousiasme pour l’être aimé. C’est ce sentiment que tu as pu mille fois observer en moi, car j’en suis aussi fier que de mon amour dont il fait partie, et que je n’ai jamais pu surprendre chez toi. Adèle, je ne m’abuse pas, je ne suis pas plus digne de ta jalousie que de ton enthousiasme, j’aurais été bien heureux de les mériter et c’est la conviction que je ne pouvais m’en glorifier qui m’a toujours fait trembler de la vérité de ton amour.

Hélas ! cependant, il y a dans ta lettre des mots bien doux, il y avait, dans ce que tu me disais ce soir, des paroles bien délicieuses… Ô Adèle, si ce bonheur pouvait vraiment être le mien ! Je veux m’endormir sur cette idée.

Puisses-tu, toi, mon ange bien-aimé, mieux dormir cette nuit que la dernière. Cependant j’avais baisé tes cheveux et ta lettre, tu aurais dû t’en ressentir. Je vais en faire autant ce soir. En attendant, je t’embrasse ici, ravi d’avoir trouvé ce mot si tendre au bas d’une lettre de toi. Je t’embrasse et je dis que tu es un ange. Adieu.


Vendredi[1].

Tu es condamnée, mon Adèle chérie, à lire ce soir ces quatre longues pages interminables. Je ne me dissimule pas combien elles ajouteraient à ce que j’écris par jour de ce roman ; mais puisque tu m’as permis, que tu m’as prescrit même (et en était-il besoin ?) le bonheur de t’écrire, j’use au risque d’abuser. Mais non, n’est-il pas vrai, chère amie, que ton Victor ne peut t’ennuyer ? Tes quatre pages d’hier m’ont rendu si heureux que je me figure qu’il doit en être de même chez toi. Je ne me suis aperçu que ta lettre fût plus longue qu’à l’ordinaire que parce qu’elle m’a rendu plus heureux encore qu’à l’ordinaire. Je suis si fier, il m’est si doux de tenir dans mes mains, de dévorer de mes regards, de couvrir de mes baisers quatre grandes pages de ton écriture pleines de moi !

  1. Inédite.