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Jeudi soir (8 août).

Hélas ! mon Adèle, c’est par ce mot que devraient maintenant commencer toutes mes lettres. Je suis bien triste. Te voir si peu à présent et ne te voir qu’au milieu de tant de gêne, il me semble que c’est de mauvais augure. Peut-être aussi dois-je croire, — et j’adopte avec empressement cette idée, car elle me vient de toi, — que je n’ai point encore assez acheté l’immense bonheur qui est si près de moi. J’ai bien souffert, à la vérité, mais je vais être si heureux ! Ah ! aucune souffrance ne pourrait payer cette félicité.

Adèle, hélas ! je ne sais que te dire de l’état de mon âme, je pense à notre bonheur futur, prochain, et je suis triste ! Chère amie, tu es en ce moment en proie à tant de contrariétés, à tant d’ennuis ! Oh ! où est notre bonheur de Gentilly ? Ange, le mouchoir que tu as trempé de tes larmes n’est pas encore sec ; comment penser à de la joie ?

Et ce brevet[1] éternellement promis qui n’arrive pas ! Adèle, dois-je t’avouer ma faiblesse ? Ces retards me tourmentent à présent qu’ils t’inquiètent. Je n’ai confiance que dans ta confiance, comme je n’ai de joie que dans ta joie et de peine que dans ta peine. Chère amie, quand je pense à ceux qui retiennent peut-être mon bonheur dans leurs mains, j’éprouve des mouvements inouïs de rage et de douleur. Oui, de rage ! Ah ! l’homme qui me retarderait d’un mois le bonheur de te posséder serait mal conseillé dans son intérêt. Le bonheur qui me vient de toi, Adèle, est sacré ; malheur à qui y touche ou y touchera !

Adieu pour ce soir, demain j’espère pouvoir continuer. Que ne puis-je t’écrire sans cesse ? Pourquoi faut-il travailler ? Adieu, je t’embrasse comme je vais baiser tes cheveux, ton mouchoir, tes lettres, comme je vais embrasser ton image tout à l’heure dans quelque charmant rêve.

  1. Le brevet de la pension de 1 200 francs promise et due.