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Samedi matin (13 juillet).

Ta lettre me remplit d’attendrissement et de joie chaque fois que je la relis. J’avais bien besoin, mon Adèle adorée, d’être consolé de la douleur si vive que j’ai éprouvée hier, en apprenant que je ne passerais pas ces trois jours près de toi, à cet heureux Gentilly. Oh ! écris-moi toujours ainsi, ange, j’ai tant besoin d’amour pour supporter la vie ! Si tu savais quelle est la puissance de ton âme sur la mienne, tu serais heureuse, car tu m’aimes, tout indigne que je suis d’être aimé d’un être tel que toi. J’ai baisé ta lettre avec transport, il me semblait qu’elle avait quelque chose de mon Adèle absente. Mon Adèle, ma bien-aimée Adèle, que ne connais-tu ton Victor tout entier ! tu verrais que, s’il est bien imparfait sous tous les rapports, il a du moins quelque chose de parfait, c’est son amour pour toi. Cet amour, je le retrouve sans cesse, sous la moindre comme sous la plus importante de mes pensées. Pardonne-moi de te répéter sans cesse la même chose en d’autres paroles. Moi, quand je t’ai parlé de mon amour, de mon adoration, de mon idolâtrie, j’ai fini le cercle de mes idées et il faut recommencer.


2 heures après-midi.

Je saisis tous les moments où je peux t’écrire, afin que cette journée s’abrège. Elle est si longue. Oh oui ! regrettons, mon Adèle, notre Gentilly. Qu’est-ce que ces trois heures passées le soir dans une gêne perpétuelle près de la douceur de dormir sous le même toit, de respirer le même air, de m’asseoir à la même table que toi. Hier, chère amie, j’ai essayé de prendre ta défense contre des reproches bien singuliers : je n’ai pas été bien reçu ; mais pour toi, est-ce que je ne supporte pas tout ? Est-ce donc à ta mère de m’envier une tendresse que tu ne pourrais me refuser sans la plus profonde ingratitude, car il n’y a que l’amour qui puisse payer l’amour ! Comment ! ta mère voudrait que tu ne répondisses que par une affection secondaire à l’attachement le plus ardent, au dévoûment le plus absolu.