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Mardi soir [18 juin][1].

Quelques mots pour toi avant de me coucher, mon Adèle bien-aimée. Helas ! j’ignore si tu m’écriras, mais ce n’est pas une raison pour que je me prive du bonheur de t’écrire. Tu dors sans doute en ce moment, combien de fois ne m’est-il pas arrivé de t’écrire pendant que tu dormais ! Tu m’as fait ce soir un reproche bien cruel, un reproche qui serait insupportable à ton Victor s’il pouvait croire qu’il sort de ton cœur comme il sort de ta bouche, tu m’as dit un moment que je ne t’aimais pas, qu’un moment, à la vérité, mais pour une pareille accusation, chère amie, un moment est déjà bien trop. Oh ! quand donc pourrai-je avoir le bonheur de donner ma vie pour un de tes sourires ou pour une de tes larmes, afin de démentir cette parole, à laquelle tu ne crois pas, dis, mon Adèle adorée ? Tu es profondément convaincue que tu es un ange, que mon âme entière se consume à t’aimer, que tu inspires à ton mari toute l’idolâtrie que tu dois inspirer à un être capable de t’apprécier. Adèle, si tu me voyais en ce moment, si tu étais là, près de moi, près de mon regard, près de ma bouche, Adèle, non, de ta vie, tu ne me répéterais plus que je ne t’aime pas. Adieu pour ce soir, je vais dormir seul, mais je te retrouverai dans mes rêves, en attendant les bienheureuses nuits où ma femme sera à la fois dans mes rêves et dans mes bras.


Jeudi matin.

Cependant, Adèle, tu me l’as encore répété hier au soir, ce reproche qui est une cruauté de ta part. Tu m’as redit que je t’aimais moins, et moi, il me semble que chaque jour je t’aime davantage. À la vérité, je ne t’écris ni ne te vois, certes, pas autant que je le voudrais, mais pourquoi cela ne dépend-il pas de moi ? je ne t’écrirais jamais, parce que je te verrais toujours. Je serais sans cesse à tes pieds ou sur ton sein, je serais déjà comme je serai dans quelques mois. Tout ce bonheur m’est refusé, je passe bien peu d’instants près de toi, et les autres, que je voudrais consacrer à t’écrire, il faut, sans

  1. Mardi et jeudi, lettres inédites.