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Lundi, dix heures du soir (17 juin, Paris).

Tu souffres en ce moment, mon Adèle bien-aimée ; puisque je ne puis te voir, je vais t’écrire. Peut-être demain cette lettre inattendue te procurera-t-elle un instant de plaisir. Hélas ! je suis bien à plaindre de ne pas être près de toi dans un moment où tu aurais besoin de soulagement. Que ceux qui t’entourent sont heureux ! Ô mon Adèle, si tu savais avec quel serrement de cœur je viens de revoir cette chambre déserte, si loin de celle où tu vas dormir ! C’est toujours pour moi une douleur nouvelle que de quitter ce cher Gentilly, où cependant je suis loin d’être pleinement heureux.

Tu m’as fait bien des chagrins aujourd’hui, mais puisque tu es malade, je ne te reprocherai rien. Pourtant je n’ai pu m’empêcher de remarquer avec douleur dans cette voiture que tu as eu les yeux fermés pendant presque tout le chemin. Grand Dieu ! mon Adèle, je ne t’accuse pas, tu étais souffrante, et si cela te soulageait, tu as bien fait. Seulement, si j’avais, moi, souffert à ta place, il me semble que c’est en fixant mes regards sur toi que j’aurais cru me guérir. Quoi qu’il en soit, chère, bien chère amie, je te le répète, si cela t’a soulagée, tu as bien fait de me fermer tes yeux ; et pourvu que je retrouve demain soir ma femme tout à fait bien portante, je ne me plaindrai pas. Adieu pour ce soir, mon Adèle adorée, j’ai des idées trop tristes pour continuer. Je tâcherai de t’écrire encore demain. J’espère que tu dors bien en ce moment comme tu me l’as promis. Ange, adieu, reçois mille baisers de ton pauvre mari qui est vraiment bien triste.


Mardi.

Le temps m’a manqué pour t’écrire aujourd’hui, bien-aimée Adèle, j’espère m’en dédommager demain. En attendant, je t’embrasse comme je t’aime, adieu, ange adoré.