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voir que ce qui t’a affligée n’avait encore sa source que dans un excès d’amour, qui m’exagère la moindre peine qui me vient de toi.

Lorsque tu descendis dans le jardin un moment après moi, je remarquai que tu m’évitais avec un soin qui me parut de l’affectation, néanmoins je changeai de direction pour te rencontrer, même persévérance opiniâtre de ta part à me fuir. Cela me sembla une bien forte marque d’indifférence, je ne te dirai pas ce que j’en éprouvai, je ne me suis pas plaint et je ne me plaindrai pas. Au moment du dîner, je t’abordai, nous venions de passer séparés trois quarts d’heure que nous aurions pu passer ensemble, et je te retrouvai gaie. Je résolus de répondre à tant de froideur par une froideur apparente. Pardonne-moi, Adèle, je suis bien coupable.

Après le dîner, nouvelle séparation. Je passai quelques heures bien tristes ; à mon retour, tu me parus encore gaie, et ta mère me dit que tu l’avais été en effet pendant toute cette visite. Mon Adèle, rarement mes émotions se peignent sur mon visage, mais elles n’en sont peut-être que plus profondes. Ta gaîté me désola. Résolu de répondre à l’indifférence par un air d’indifférence, je n’eus pas de peine à paraître triste. Tu sais le reste.

À présent, je me mets à genoux devant l’ange qui me pardonne toujours et je lui demande pardon encore pour cette fois. Hélas ! j’ai tant souffert ce soir ! C’est quand je suis seul que je sens combien je suis isolé. Moi, qui de tous ceux qui t’entourent devrais en ce moment être le plus près de toi, j’en suis le plus éloigné. Je suis bien malheureux ! Mais qu’importe tout ce que je souffre pourvu que tu dormes maintenant. Adieu, ma douce et adorée Adèle, je te verrai demain matin. Je t’embrasse, je t’embrasse mille fois.

Ton mari.