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IV

La réponse du général Hugo est enfin arrivée : il donne son consentement[1]! Il est même heureux d’avoir à le donner ; car il a, lui-même, à se faire pardonner par ses fils une chose grave ; trois semaines après la mort de leur mère, il a épousé la femme pour laquelle il a quitté sa famille, et il n’en a seulement pas informé ses enfants. C’est là « le nuage ». N’importe, même avec ce nuage, c’était le ciel qui s’ouvrait pour Victor, au moment où il n’osait plus l’espérer.

Après le consentement obtenu du père, la première lettre qu’écrit Victor sera un grand cri de joie. Il est doublement heureux : l’obstacle sérieux à son mariage est levé, et son Adèle vient de lui donner la preuve la plus irrécusable d’amour qu’il pût souhaiter. La petite bourgeoise si timorée d’autrefois s’est élevée, ou, mieux, a été élevée par lui à la passion la plus magnanime. Elle a vu la sombre résolution avec laquelle Victor attend l’arrêt de son père ; si la réponse est négative, il mourra ! Et elle ne veut pas qu’il meure ! si le consentement paternel lui est refusé, qu’il l’emmène, qu’il l’enlève, elle est toute prête à le suivre. Mais le consentement est donné et le généreux sacrifice est inutile. Il n’y a plus à attendre pour arrêter le jour du mariage que cette malheureuse pension royale qui doit fournir un fonds un peu fixe à l’établissement du jeune ménage.

En attendant, voilà Victor officiellement reconnu enfin pour le fiancé d’Adèle. Même, sur ses instances, on lui fera sa place dans la villégiature annuelle de Mme Foucher. On loue un appartement à Gentilly et, dans le jardin qui en dépend, il y a un ancien colombier en forme de tourelle où s’installera Victor. Il pourra prendre ses repas avec la bien-aimée, la voir à tous les instants du jour…

Par exemple, Mme Foucher exigera qu’habitant sous le même toit, Adèle et Victor ne soient jamais seuls. Ce qu’il ne peut lui dire, il est donc forcé de le lui écrire, et cela nous vaut la lettre lyrique du 23 mars.

  1. Consentement conditionnel ; nous avons retrouvé récemment copie de cette lettre du général Hugo :
    Mon cher Victor, l’œil d’un bon père ne quitte jamais de vue ses enfants : je savais que tu étais vivement épris d’une demoiselle et j’avais deviné ton choix. Je savais de plus que tu devais m’écrire à ce sujet à la fin de ton deuil, et quand ta lettre m’est arrivée, elle était attendue. Tu me peins en amant passionné les sentiments de ton cœur et l’heureux retour dont ils sont payés ; tu me parles de rang, de naissance, de fortune. Je sais que ces distinctions disparaissent devant les sentiments de la nature des tiens. Mais tout cela exige de ma part une explication que je ne te ferai pas attendre.
    Je suis loin de blâmer ton attachement pour Mlle Foucher. Mais n’es-tu pas trop jeune pour songer à des liens aussi sérieux que ceux du mariage ? Et quand tu aurais à ton âge cette maturité qu’ils réclament, quel est ton état dans le monde pour soutenir une femme et élever des enfants ?
    Sans les malheurs politiques qui m’ont privé des ressources acquises par mes nombreux succès, je te dirais, comme je le pense, que M. Foucher ayant été mon collaborateur et mon ami, son rang dans la société suffit au mien, et que le défaut de fortune de sa demoiselle serait très réparable en faveur de ses belles qualités, puisqu’alors tu en aurais assez pour vivre honorablement ensemble.
    Mais, mon ami, il n’en est pas ainsi. Le million de réaux qui m’avait été accordé et celui qui m’avait été promis en Espagne, n’ont pu recevoir d’emploi, parce que l’on ne m’a pas permis de m’occuper d’autres affaires que celles du Prince, et le premier a été perdu dans mon portefeuille à Vittoria, tandis que le second ne m’a jamais été remis. La propriété que j’ai achetée après la rupture par les tribunaux espagnols des liens qui m’attachaient à ta mère, et sur laquelle mon épouse actuelle n’a que des droits proportionnés à son apport, cette propriété, dis-je, était construite sur un fonds national, et je ne pourrai retirer quelque indemnité de sa perte qu’en risquant un procès dispendieux avec le général qui me l’a vendue… De ce tableau il résulte qu’avant de songer au mariage, il faut que tu aies un état ou une place et je ne considère pas comme telle la carrière littéraire, quelle que soit la manière brillante dont on y débute. Quand donc tu auras l’un ou l’autre, tu me verras seconder tes vœux auxquels je ne suis point contraire. Agis dès lors pour remplir cette condition et dis-moi si je puis concourir avec tes amis pour t’y faire arriver promptement. (Bibliothèque Nationale.)