Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/154

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
Dimanche matin (24 février).

Tu m’as mis à la torture pour découvrir ce qui avait pu te sembler si extraordinaire dans ma lettre d’hier soir. Mes idées se sont enfin arrêtées sur celles dont une jeune fille ne doit pas, j’en conviens, entretenir un jeune homme. Seulement je croyais être ton mari, et avoir par conséquent quelques privilèges de plus qu’un autre. Il me semble en outre qu’il n’y a rien dans des réflexions chastes et intimes qui ait pu te choquer ; je te donnais une preuve de haute confiance et d’estime profonde en te dévoilant des secrets de mon âme et de ma vie que nulle autre femme que toi n’a droit de connaître. D’où vient donc ton mécontentement ? Que te disais-je qui pût te sembler indigne d’être écouté par l’oreille la plus pure et la plus virginale ?

Je te montrais combien est grande ta puissance sur moi, puisque ta seule image est plus forte que toute l’effervescence de mon âge ; je te disais que l’être qui serait assez imprudent pour s’unir, lui impur et souillé, à un être pur et sans tache, ne serait digne que de mépris et d’indignation, à moins qu’il n’eût fait d’abord l’aveu de sa faute, au risque même d’être repoussé pour jamais. Que pouvait-il y avoir dans des principes aussi sévères qui provoquât ta sévérité ? En vérité, j’étais loin de m’y attendre. Si j’étais femme et que l’homme qui me serait destiné me dît : Tu es la femme qui m’a servi de rempart contre toutes les autres femmes, tu es la première que j’aie pressée dans mes bras, la seule que j’y presserai jamais ; autant je t’y attire avec délices, autant j’en repousserais avec horreur et dégoût toute autre que toi ; il me semble, Adèle, que si j’étais femme, de pareilles confidences de la part de celui que j’aimerais seraient bien loin de me déplaire. Serait-ce que tu ne m’aimes pas ?...

Chère amie, je voulais encore te parler de ma conduite d’hier soir, que tu as attribuée à la vanité et à l’amour-propre, ce qui m’a bien affligé, dans un moment où je croyais agir d’une manière fière, estimable et digne de toi ; je voulais te parler de tout cela, mais il ne me reste que le temps de te dire de ne pas te fâcher du ton grave de cette lettre, de te répéter combien je t’aime, même quand tu es injuste, et avec quelle joie je vois s’ouvrir cette journée que je passerai avec toi.

Adieu, je t’adore, je te respecte et t’embrasse bien tendrement.

Ton mari fidèle,
Victor.