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bien malheureux, s’il faut que je te le rappelle. Ton portrait, de ta main, voilà ce que tu m’as promis. As-tu pu oublier que tu m’avais promis cela ? As-tu oublié en effet, mon Adèle, l’une des plus grandes joies que tu puisses me causer ? Est-ce que tu n’as aucun souci de mon bonheur ? Je ne veux pas croire cela, jusqu’à ce que tu m’aies répondu. J’aime mieux penser que le temps et la solitude t’auront manqué, et non le désir de remplir une promesse, qui est si douce pour moi et doit être si sacrée pour toi. J’attendrai alors sans murmurer.

Il faut que je te parle de cette campagne où vous comptez passer l’été. Une séparation, ne fût-elle que de deux lieues, m’afflige, et pourquoi ne pas te dévoiler toutes mes superstitions, je vois celle-ci avec de tristes pressentiments. Ne ris pas, mon Adèle, le chagrin de ne plus habiter près de toi suffit pour enfanter ces craintes vagues et en apparence déraisonnables, je n’essaie pas de les justifier autrement, même à mes propres yeux. Je me tourmente, je m’inquiète, et voilà tout. Je sais bien que je pourrai t’aller voir de temps en temps, mais cet éloignement matériel n’a-t-il pas été imaginé pour donner lieu à un autre éloignement que tes parents jugent plus prudent ? De quelle nature seront les nouvelles habitudes de cette nouvelle demeure ? Quand et comment te verrai-je ? J’ignore tout cela, mais je sais que je serai désolé le jour où tu quitteras Paris pour aller t’établir là. Nous sommes bien des gens qui agissons pour ton bonheur, et il ne devrait y en avoir qu’un, celui pour qui tu es tout, celui qui t’aime à part de tout le reste des hommes, celui qui doit être et qui est ton mari, ton protecteur et ton esclave.