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me confie à toi, autant je me défie des autres. Sois donc mon conseil, tu peux tout pour moi, fais que je te doive tout.

Cette première page t’ennuiera comme elle m’ennuie, chère amie, mais rappelle-toi que si je t’occupe de moi, c’est pour remplir un vœu que tu m’as exprimé. J’espère que tu ne me crois plus tant d’amour-propre, à présent que je montre à cette Adèle dont l’estime est tout pour moi les ébauches de quelques méchants ouvrages. Je voudrais que tu pusses savoir combien je désire de bonne foi que tu m’en dises franchement ton avis, quoique j’en tremble d’avance.

J’étais bien heureux jeudi dernier à pareille heure. Tu étais près, bien près de moi ; je sentais tous les mouvements de ton corps, je respirais presque ton haleine, je recueillais toutes tes paroles et toutes n’étaient que pour moi. Quand ma vie entière se passera-t-elle ainsi ? Les moments de bonheur qui s’écoulent à tes côtés sont des moments d’un bonheur bien pur et bien profondément senti, je t’assure. À peine enfuis, je les regrette comme s’ils ne devaient jamais revenir ; et quand j’en pressens le retour, je les désire comme si je ne les avais jamais éprouvés. Je sens quand je suis avec toi une joie toujours aussi grande et toujours aussi nouvelle. Ce sont là les signes d’un impérissable amour. Le moindre mot de toi me bouleverse, soit qu’il m’afflige, soit qu’il m’enchante.

Adèle, ce sont des esprits bien faibles et des cœurs bien étroits ceux qui doutent de l’éternité de l’amour. Il y a au fond de l’âme qui aime véritablement une voix qui lui dit qu’elle aimera toujours. En effet, l’amour est la vie de l’âme ; pour qui médite un peu, c’est une preuve puissante de notre immortalité immatérielle. Ne prends pas ceci, chère amie, pour de vaines paroles, ce sont les plus grandes vérités qu’il y ait au delà de la vie que je t’expose ici, et il doit y avoir chez toi comme chez moi quelque chose qui te les révèle. Ce sont ces vastes et magnifiques espérances qui font du mariage le ciel anticipé. Pour moi, quand je pense que c’est toi qui m’es donnée, je me tais, car il n’y a pas de mots humains pour rendre grâces d’un tel bienfait.


Samedi (23 février).

Tu me disais l’autre jour quelque chose qui m’a frappé singulièrement, c’est pourquoi il faut que je t’en parle. Tu me disais que tu n’étais pas sûre que je fusse sage. Je commence par te prévenir, mon amie, que si je pensais que ces paroles fussent sérieuses, je n’y répondrais pas. C’est parce que je