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10 heures. Mercredi soir[1]. [13 février.]

Quelques mots pour toi, mon Adèle, avant de me coucher. Tu m’as pardonné ce soir un tort apparent et certes, j’en suis aussi reconnaissant que si tu m’avais pardonné un tort véritable. Chère amie, ce refus où tu as cru voir de l’indifférence était en grande partie dicté par la peine que m’avait causée ta facilité à accepter une invitation qui me privait de te voir vendredi ; le hasard a voulu que cette invitation m’ait également été faite, mais lorsque tu l’as acceptée, tu l’ignorais, et il me semblait que c’était une preuve du peu de prix que tu attachais à ma présence. Avec cette idée, il n’est pas étonnant que j’aie balancé. Quant aux considérations de convenance dont je t’ai parlé, elles seraient tout s’il s’agissait d’autre chose que du bonheur de passer une soirée avec toi ; mais elles ne sont rien devant ce bonheur. Adèle, tu m’as dit que tu ne m’aimerais plus que comme un homme ordinaire, tu m’as répété que tu n’oublierais jamais cela, mon Adèle, tu ne sais pas quelle nuit ces paroles m’auraient fait passer, si tu ne les avais effacées avant mon départ par quelques mots de pardon, de réconciliation et d’oubli.

Tu avais été, chère amie, un peu injuste dans ta promptitude à me condamner ; mais tu m’as pardonné avec tant de douceur que je suis pénétré de ta bonté, je voudrais que tu pusses lire au fond de mon cœur toutes les fois que tu crois avoir à te plaindre de moi et que la gêne où nous sommes m’empêche de m’expliquer, alors, ma bien-aimée Adèle, tu ne m’affligerais jamais par ton affliction, car tu saurais qu’il n’est pas un moment de ma vie, une pensée de mon âme, qui ne soient pour toi, et que s’il existe au monde un dévouement profond, un amour pur, ardent et respectueux, c’est dans le cœur de ton Victor qu’il faut le chercher. Adieu pour ce soir, demain je t’écrirai encore, demain je te verrai. — Que de bonheur pour demain !


Jeudi.

J’ai passé une bien mauvaise nuit, et ce qui me tourmente, je crains que ces douleurs de reins dont tu m’as parlé hier ne t’en aient fait passer une

  1. Inédite.