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Vendredi (8 février).

Chère amie, ma femme, mon Adèle, de grâce, ne me tourmente plus comme tu l’as fait hier soir après m’avoir rendu si heureux. Je ne sais plus que te dire, car tu doutes encore de mon estime, et il faut pour cela que tu oublies bien vite mes paroles ou que tu n’y croies pas. Et qui donc pourrais-je estimer, qui pourrais-je admirer sur la terre si je n’estimais, si je n’admirais pas mon Adèle ?

Si je ne craignais d’effrayer ta modestie, je te retracerais tous les titres auxquels tu peux prétendre, non seulement à l’estime et à l’enthousiasme de ton mari, mais encore à l’estime et à l’enthousiasme de tous ceux qui t’approchent et ont des yeux, des oreilles et une âme pour t’apprécier. Je te parlerais d’une jeune fille douée de l’âme la plus noble, la plus tendre et la plus candide, charmante sans coquetterie, plus belle encore par sa pudeur que par ses grâces, pleine d’esprit et de simplicité, aussi vierge par ses pensées que par ses actions, constamment douce et généreuse, n’estimant les plaisirs que ce qu’ils valent, soumise à ses devoirs, toujours prête à pardonner dans les autres les défauts et les fautes qui ne sont pas dans sa nature, et n’ayant elle-même d’autre défaut qu’une modestie excessive qui lui fait méconnaître ses avantages, modestie dont les autres abusent, et qui l’empêchera peut-être même de se reconnaître dans ce portrait. Te voilà cependant, Adèle, telle que tu es dans le cœur de ton Victor, de celui qui te connaît le mieux au monde, et qui est trop intéressé pour n’avoir pas étudié ton caractère avec la plus scrupuleuse attention. Sois bien convaincue en outre, chère amie, que je considérerais comme un crime de te dire une seule parole qui ne fût pas dans mon cœur ; il est de ton devoir de m’accorder une confiance aveugle, et je serais un homme lâche et vil si j’abusais de cette confiance. Quand je t’adresse une louange ou un reproche, c’est parce que cette louange et ce reproche me semblent la vérité, et que je serais coupable si je ne te disais pas ce qui me semble la vérité. Je puis me tromper, mais te tromper, jamais. Ainsi, de deux choses l’une, ou tu dois croire à ma plus haute, à ma plus profonde estime, ou me mépriser comme un impudent menteur. Choisis.

Je t’ai parlé dans ma dernière lettre d’une soirée passée avec ton frère seulement dans la maison d’une artiste (sorte de maison toujours peu consi-