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j’ai remis à savoir ce que je devais penser de ton absence quand tu m’en aurais toi-même dit le motif. Je suis sorti à onze heures et demie un peu malade de cette soirée sur laquelle je comptais pour me ranimer de mon épuisement. J’ai dormi peu et mal, je me suis levé tard, j’ai perdu ma matinée à un déjeuner prié, et me voici maintenant à t’écrire, triste et abattu, sans d’autre idée de joie que celle de te voir ce soir, ne sachant pas si je pourrai te parler un moment en liberté, et si tu auras des explications satisfaisantes à donner à ton pauvre mari, qui a été si cruellement désappointé hier. Tu vois, chère amie, que j’imite ta douceur, quoique tu m’aies fait bien mal hier en ne venant pas. Peut-être as-tu pensé qu’il n’était pas convenable à une jeune fille d’aller chez un garçon, et sous ce rapport je ne serai pas éloigné d’être d’accord avec toi ; mais je pense que tu peux aller partout où ton mari se trouve. — J’ai reçu comme je le prévoyais une lettre de mon père qui me permet de ne pas aller à Londres. Cette lettre étant du reste purement relative à mes occupations littéraires, je crois inutile de la montrer chez toi. Tu sais de quel ton mon père me parle de mes vers, et je dois éviter avec soin tout ce qui pourrait me donner à tes yeux un vernis d’amour-propre. Cependant, chère Adèle, je ne te dissimulerai pas que j’ai été bien fier de ce que tu m’as dit des vers que je t’ai adressés. Les éloges des indifférents flattent quelquefois ; les tiens me touchent et me pénètrent profondément. Après cet aveu, crois-moi de la vanité, si tu veux.

Cette lettre tire à sa fin, et il me semble que j’ai encore mille choses à te dire ; il doit te sembler, à toi, que je te répète continuellement la même chose. C’est, mon Adèle, que cette chose est bien douce, je t’aime est mon idée unique et éternelle ; mais elle peut bien remplir de longues pages puisqu’elle remplit toute une vie. Te plaindre de l’uniformité de mes lettres, Adèle, ce serait te plaindre de la constance de mon affection. Te plaindre de ma jalousie, de ma susceptibilité, ce serait te plaindre de ce que je t’aime avec respect et virginité. Adieu, bien chère amie, je t’embrasse comme je t’embrasserai encore après cent ans de mariage.

Ton fidèle,
Victor.


J’espère que ta santé est tout à fait rétablie et que je te reverrai rose et fraîche après ces quatre longs jours.