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position de Delon, j’aurais été heureux qu’il fît pour moi ce que j’ai fait pour lui. Cela suffisait. Mme Delon interprète, dit-on, indignement ma lettre, ma lettre a été ouverte à la poste : je ne crois rien de tout cela, parce que je ne me résigne à mépriser les gens que sur de fortes preuves.

J’aime à penser que ton père a cédé à un premier mouvement sans approfondir la chose. Il y aurait vu peut-être matière à des avis, mais non à des reproches. C’est ainsi qu’a jugé ta mère, parce que les femmes valent mieux que les hommes, et que ta mère est excellente.

Permets-moi, mon Adèle, de t’ouvrir mon cœur tout entier. Ton père n’est pas toujours avec moi ce qu’il devrait être ; il n’est ni cordial, ni affectueux avec moi, qui voudrais tant l’aimer puisqu’il est ton père. À ma confiance illimitée, il répond par une froideur décourageante. Sa conduite envers moi prouve qu’il connaît peu mon caractère ; il saurait qu’auprès de moi une marche franche réussira toujours mieux qu’une marche calculée. C’est ce qu’un instinct de bonté a révélé à ta mère, elle est pour moi simple et ouverte, aussi peut-elle compter sur mon profond et sincère attachement. Ne crois pas, chère amie, que je veuille ici blâmer en rien ton père ; ses torts sont bien légers et n’ont même rien de réel puisqu’il fait tout pour ton bonheur. Seulement je crois qu’il se trompe dans la manière dont il agit envers moi. Beaucoup d’esprit égare quelquefois, mais je ne lui en voudrai jamais, car je ne doute pas qu’il ne soit plein de tendresse paternelle pour toi et peut-être même a-t-il quelque affection pour moi. J’ai voulu uniquement me soulager d’un poids qui m’importunait, et dois-je d’ailleurs avoir rien de caché pour mon Adèle bien-aimée ?


Samedi[1].

Hier matin je suis allé à St-Denis ; j’ai fait en montant au clocher une bravade sotte et imprudente, et je suis revenu à Paris avec la tête pesante et tous les membres fatigués. J’avais bien besoin de te voir, car ta présence me réjouit quand je suis triste et me guérit quand je suis souffrant. Je n’étais allé à cette soirée que dans l’espoir de t’y trouver, et tu n’y es pas venue. Je ne te dis pas ce que j’ai éprouvé. On s’est de plus amusé à me tourmenter. On m’a dit que tu avais jugé à propos de faire une visite ce soir-là, on m’a dit que tu n’étais pas venue parce qu’on ne dansait pas, etc., etc., j’ai accueilli toutes ces malices avec dédain et sang-froid. J’ai présumé que tu devais avoir eu de fortes raisons pour me priver du bonheur de te voir, et

  1. Inédite.