Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/124

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bonheurs que cette douce et intime correspondance qui unit continuellement nos deux âmes, même quand nous sommes séparés. À quelque instant que ce soit, nous sommes présents l’un à l’autre. Ton image est ma compagne fidèle, mes yeux sont toujours levés vers elle, et les siens toujours ouverts sur moi. C’est à ce témoin invisible que je soumets toutes mes actions, toutes mes pensées. Je ne fais rien que mon Adèle ne puisse voir, et mon amour pour toi est devenu chez moi comme une seconde conscience. Chère et noble amie, c’est ainsi que je tâche de me conserver digne de toi car si je n’avais fait de mon Adèle absente mon juge et ma consolation, qui sait ce que je deviendrais, abandonné à moi-même comme je suis ? Mais, si je n’ai plus de mère, j’ai une femme qui me restera toujours et je suis sûr de ne pas manquer d’un modèle dans ma vie.

Seulement ce qui m’afflige, c’est d’avoir tant de défauts, car, outre ceux que je vois, il y en a sans doute encore beaucoup que je ne vois pas. Je voudrais, Adèle, que tu me les signalasses toi-même, et j’essaierais de les corriger afin de ne pas te les faire supporter un jour. Il te faudrait, à toi qui es parfaite, un mari parfait, tu ne trouveras dans ton Victor qu’un mari qui aura du moins fait tout son possible pour l’être. C’est bien peu te promettre, mais c’est tout ce que je puis.

Ainsi, ma bonne et charmante Adèle, aie de l’indulgence pour mes fautes, car elles ne viennent jamais de mon cœur, mais sois sévère pour mes défauts, parce qu’ils pourraient un jour nuire à ta tranquillité. Préserve-moi d’un tel malheur par tes conseils, mais aime-moi toujours malgré toutes mes imperfections, aime-moi, si tu veux que je vive.


Vendredi 1er février.

Mme Delon a mal agi en montrant ma lettre[1] ; j’en suis fâché pour elle. Je suis fâché également de la manière singulière dont ton père m’a parlé de cette affaire. Ta mère l’a vue, ce me semble, plus généreusement. Je te confie ici tout ce que je pense. Cette proposition était naturelle de ma part, elle n’avait rien de louable ni de blâmable, et en admettant que ce fût une étourderie, il me semble qu’elle ne méritait pas le ton grave dont ton père m’en a entretenu. Je pouvais me compromettre, dit-il ; je l’ignore, mais, avant de faire une chose juste, doit-on jamais chercher si elle est utile ou nuisible ? Chère amie, décide, je m’en rapporte aveuglément à toi. Dans la

  1. Voir la lettre du 4 janvier 1822, page 342.