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ces cheveux adorés que tu m’as donnés et dont je ne t’ai pas remerciée, parce qu’il n’y a pas de paroles pour exprimer ma reconnaissance d’un don aussi précieux. À des gages d’amour aussi touchants, je ne puis répondre qu’en m’agenouillant devant toi et en te priant comme mon ange gardien pour cette vie et ma sœur pour l’éternité. Adieu ! adieu ! Mille et mille baisers.


Vendredi 25 (janvier).

Je t’écris, bien-aimée Adèle, pour me reposer d’écrire. Cependant il faut que tu me grondes. Je n’ai pas travaillé cette semaine autant que je l’aurais voulu, nos chagrins de lundi, mes démarches de mardi, et une correspondance interminable ont absorbé à peu près tous mes instants. Voici pourtant la troisième soirée que je passe chez moi. Le monde avec ses entraves importunes, ses devoirs insipides, ses fatigantes bienséances, le monde m’est odieux. D’ailleurs, tu n’y es pas et cela suffirait pour que je ne puisse m’y plaire.

Mes démarches auprès du ministère ne m’ont encore produit que des promesses ; il est vrai que ces promesses ont un caractère positif. J’espère et j’attends. Au reste, je te conterai tout cela en détail ainsi qu’à tes parents. Il serait très possible, chère amie, que d’ici à peu de mois j’obtinsse pour deux ou trois mille francs de places, alors, avec ce que la littérature me rapporterait, ne pourrions-nous pas vivre ensemble doucement et paisiblement, sûrs de voir notre revenu s’accroître à mesure que notre famille s’accroîtrait ? Quand je pense, mon Adèle, qu’un tel bonheur n’a rien que de très probable et peut-être de très prochain, je suis ivre de joie. Tu vas m’objecter le consentement de mon père. Mais, dis-moi, pourquoi mon père quand il me verra indépendant se refuserait-il à me rendre heureux ? Pourquoi ne chercherait-il pas plutôt à réparer ses torts d’un seul mot et à s’acquérir si aisément des droits à mon éternelle reconnaissance ? Il me semble en vérité que ces considérations l’emportent sur toutes les difficultés. Mon père est un homme faible, mais réellement bon. En lui témoignant beaucoup d’attachement, ses fils pourront beaucoup sur lui. Il voulait aussi lui, à toute force, me voir attaché à l’ambassade de Londres[1] ; cette idée qui me désolait flattait son amour-propre et son ambition. Eh bien ! je lui ai écrit une lettre avec laquelle je suis sûr de le dissuader.

  1. Chateaubriand, nommé ambassadeur en Angleterre, avait proposé à Victor Hugo de l’attacher à son ambassade.