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Mardi 8 (janvier).

Adèle, tout ce que me dit ta lettre d’hier est parfaitement juste. Je te remercie, chère amie, de l’avoir écrite, tu as bien fait, et pourtant elle m’a réveillé comme d’un songe. C’est un de tes droits de me parler de mes affaires, car mes affaires sont les tiennes. C’est un devoir pour moi, je dis plus, c’est un de mes droits les plus chers que celui de te demander conseil sur tout ce qui me concerne, et ma confiance en toi, ma profonde estime pour ma femme me parlent là-dessus tout autrement que ta modestie. Il y a longtemps que je désirerais exercer ce droit, si je pouvais t’entretenir autrement que par écrit et si je n’avais craint de glacer ces lettres, ma seule joie, par des détails fastidieux pour toi et pour moi. Cette raison tombe pourtant d’elle-même du moment où ton désir répond au mien.

Une autre plus puissante m’a encore arrêté. En te rendant compte de tout ce que je fais et de tout ce qui m’arrive, j’aurais appréhendé de paraître chercher à te faire moi-même indirectement et directement mon éloge, et c’est sous ce rapport seulement, mon Adèle bien-aimée, que la franchise que tu me demandes, comme si cette demande était nécessaire, me sera difficile. Mais si j’étais contraint d’entrer malgré moi dans quelque développement en apparence peu modeste, j’espère, chère amie, que tu te rappelleras que ce n’est pas moi qui ai provoqué une occasion de t’occuper de moi et que ces détails, dont je serai d’ailleurs aussi sobre que possible, sont nécessaires pour te mettre à même d’apprécier d’après ma position présente quelle peut être ma situation future.

Que nous faut-il pour être heureux, chère amie ? Quelques mille francs de revenu et le consentement de mon père. Voilà tout. De quoi donc peut-on s’alarmer ? Pour moi, ce qui me tourmente, ce n’est pas de douter, mais d’attendre. Je suis sûr de me créer des moyens d’existence pour toi et moi, j’espère que mon père après avoir fait le malheur de ma mère, ne voudra pas le mien. Je compte d’ailleurs pouvoir une fois ma majorité atteinte, lui rendre quelque service qui l’oblige en quelque sorte à approuver notre union ; mais ce qui me désole, c’est que la patience n’a jamais été ma vertu et que j’ignore en vérité quand tout ce bonheur m’arrivera, quoique je sache qu’il doit m’arriver, à moins que la mort ne vienne.

Ne me demande pas, mon Adèle, comment je suis sûr de me créer une