Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome II.djvu/71

Cette page a été validée par deux contributeurs.


[PROUDHON À LA CONCIERGERIE.]


Septembre 1849.

M. Proudhon est à la Conciergerie. Il fait là ses trois ans. Il est à la pistole. Sa chambre pavée en pierre de liais est meublée d’une table, d’un lit et de quelques chaises de paille. La table est grande, couverte de papiers et de journaux, et porte cette écritoire qui pour les uns est pleine d’encre et pour les autres de poison.

M. Proudhon, dans sa prison, est vêtu d’un vrai sarrau de charretier, bleu, large, avec boutons sur l’épaule et broderies de fil rouge au collet. Il a un pantalon de gros drap, des chaussons de lisière, et des sabots. Ainsi accoutré, costumé d’avance en membre de son gouvernement provisoire, il attend ce que ses amis de la rue appellent le coup de chien. Ce coup de chien, c’est la révolution socialiste qui fera Proudhon dictateur. Proudhon dictateur, il y compte. Quant à moi, j’y croirai le jour où l’on me montrera une araignée grosse comme un lion.

Il y a des fleurs sur sa table. Ce sont ses visiteurs fanatiques qui les lui apportent ainsi que des fruits, des raisins surtout qu’il mange gloutonnement. L’autre jour, un de ses visiteurs, un beau jeune homme, lui disait tendrement en le regardant comme on regarde une maîtresse : Tu vas te faire mal, et puis tu diras que c’est ma faute !

Comme il recommence son journal, M. Dufaure l’a fait menacer de le transférer à Doullens. Proudhon s’est emporté. Il a crié : Doullens ! brûlez-moi tout de suite ! tuez-moi tout de suite ! mais non ! vous êtes des lâches et vous auriez la guillotine que vous ne sauriez qu’en faire !