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par un marbre quelconque. La statue en pied de M. le duc d’Orléans qui était dans le second vestibule fut mise je ne sais où et remplacée par la statue de Pompée, à la face, aux jambes et aux bras dorés, statue aux pieds de laquelle, selon la tradition, tomba César assassiné. Le tableau des fondateurs de Constitutions, dans le troisième vestibule, tableau où figuraient Napoléon, Louis XVIII et Louis-Philippe, fut enlevé par ordre de M. Ledru-Rollin et remplacé par une magnifique tapisserie des Gobelins empruntée au Garde-Meuble.

Tout à côté de ce troisième vestibule, se trouve l’ancienne salle de la Chambre des pairs, bâtie en 1805 pour le Sénat. Cette salle, petite, étroite, obscure, supportée par de maigres colonnes corinthiennes, à fûts couleur acajou et à chapiteaux blancs, meublée de pupitres-tablettes et de chaises à siège de velours vert dans le goût empire, le tout en acajou, pavée en marbre blanc, coupée par des losanges de marbre Sainte-Anne rouge, cette salle, pleine de souvenirs, avait été religieusement conservée et servait aux délibérations intimes de la Cour des pairs, depuis la construction de la salle neuve en 1840.

C’est dans cette ancienne salle du Sénat que le maréchal Ney avait été jugé. On avait établi une barre à la gauche du chancelier présidant la Chambre. Le maréchal était derrière cette barre, ayant M. Berryer père à sa droite et M. Dupin aîné à sa gauche, les pieds sur un de ces losanges du pavé, dans lequel, par un sinistre hasard, les dessins capricieux du marbre figuraient une tête de mort. Ce losange a été enlevé depuis et remplacé.

Après février, en présence des émeutes, il fallait loger des soldats dans le palais. On fit de l’ancienne salle du Sénat un corps de garde. Les pupitres des sénateurs de Napoléon et des pairs de la Restauration furent mis au grenier, et les chaises curules servirent de lits de camp aux soldats.

Dans les premiers jours de juin 1849, je visitai la salle de la Chambre des pairs et je la retrouvai telle que je l’avais laissée dix-sept mois auparavant, la dernière fois que j’y siégeai, le 23 février 1848.

Tout y était à sa place. Un calme profond. Les fauteuils vides et en ordre. On eût dit que la Chambre venait de lever la séance depuis dix minutes.