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Ils ont fait ce que la lettre leur conseillait. La dalle a, en effet, résonné sous le pied, comme si elle recouvrait une ouverture. Mais, soit que la police ait eu avis de la lettre, soit toute autre cause, la surveillance a redoublé à partir de ce moment, et ils n’ont pu profiter de l’avis.

Les geôliers et les prêtres ne les quittent ni jour ni nuit. Les gardiens des corps mêlés aux gardiens des âmes. Triste justice humaine !




L’exécution des condamnés fut une faute. C’était l’échafaud qui reparaissait. Le peuple avait poussé du pied et jeté bas la guillotine, la bourgeoisie la relevait. Chose fatale.

Le président Louis Bonaparte inclinait à la clémence. Il était facile de traîner en longueur la revision et la cassation. L’archevêque de Paris, M. Sibour, successeur d’une victime, vint demander la grâce des meurtriers. Mais les phrases convenues prévalurent. Il fallait rassurer le pays, il fallait reconstruire l’ordre, rebâtir la légalité ébranlée, réédifier la confiance, et la société de cette époque en était encore là d’employer des têtes coupées comme matériaux. L’espèce de Conseil d’État qu’il y avait alors, consulté, aux termes de la Constitution, opina pour l’exécution.

L’avocat de Daix et de Lahr, M. Cresson, vit le président. C’était un jeune homme ému et éloquent. Il parla de ces hommes, de ces femmes qui n’étaient pas encore veuves, de ces enfants qui n’étaient pas encore orphelins, et, en parlant, il pleura.

Louis Bonaparte l’écouta en silence, puis lui prit les mains et lui dit : — Je suis bien malheureux.

Le soir de ce même jour, c’était le jeudi, le Conseil des ministres s’assembla. La discussion fut longue et vive. Un seul ministre penchait du côté du président et repoussait l’échafaud. Louis Bonaparte résista longtemps. Le débat dura jusqu’à dix heures du soir. Mais la majorité du Conseil l’emporta, et avant que les ministres se séparassent, le garde des sceaux, Odilon Barrot, signa l’ordre d’exécution de trois des condamnés, Daix, Lahr et Chopart. Noury et Vappreaux jeune furent commués aux galères perpétuelles.

L’exécution fut fixée au lendemain matin, vendredi. La chancellerie transmit immédiatement l’ordre au préfet de police qui dut se concerter avec l’autorité militaire, le jugement étant rendu par un conseil de guerre.

Le préfet envoya chez le bourreau. Mais, depuis février, le bourreau de Paris avait quitté la maison qu’il habitait rue des Marais-Saint-Martin. Il s’était cru destitué comme la guillotine. Il avait disparu.