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bien réfléchi en acceptant de coopérer à un livre dont je n’ai pas lu une ligne et dont pourtant la responsabilité dans une certaine mesure me reviendra. À cela, qui est fort juste, il n’y a qu’une réponse à faire :


Je connais le livre.


Il faut donc que je connaisse le livre Paris. J’ai dans l’homme de cœur et de talent qui dirige la rédaction une confiance absolue, mais mon excellent et cher confrère Louis Ulbach, à qui je vous prie de communiquer cette lettre, sera le premier à me comprendre et à m’approuver. Ma situation est compliquée et délicate. Tel mot, qui semble acceptable à Paris, ne l’est pas à Guernesey. De plus, je ne puis mentir. Il faut donc, si vous continuez à souhaiter ma collaboration, que les bonnes feuilles me soient intégralement communiquées. Cela ne fera point de retard appréciable, car la dernière bonne feuille lue, j’enverrai la préface. Vous avez vous-même renoncé à l’envoi au 1er décembre, car vous ne m’avez pas même envoyé la Table que vous deviez m’adresser si promptement. Depuis mon départ de Bruxelles (7 octobre) je n’ai rien reçu de vous.

Il y a, dans la lecture préalable du livre, une question de dignité pour moi. Les questions de dignité, une fois qu’on se les pose, sont impérieuses pour la conscience, et ne se discutent pas. Je répète du reste que cela n’entraînera aucun retard ; mon travail est presque achevé. J’y renoncerais pourtant plutôt que de renoncer à la communication que je vous demande, et qui d’ailleurs me sera au plus haut degré utile, nécessaire même, pour terminer.

Croyez à toute ma cordialité.

Victor Hugo.


Victor Hugo avait néanmoins presque terminé son Introduction ; il devait y apporter plus tard quelques remaniements ; mais, dans le traité, Lacroix prévoyait une feuille de seize pages au prix de quinze cents francs, et probablement quelques pages supplémentaires au prix de cent francs chacune. Or l’Introduction démentait, par sa longueur, toutes les prévisions. Peut-être Lacroix jugerait-il qu’elle serait trop étendue et trop coûteuse. Victor Hugo, avant même de recevoir les épreuves du livre, voulut connaître les intentions de son éditeur.


H.-H., dimanche 16 décembre [1866].
Mon cher monsieur Lacroix,

Au moment de terminer mon travail pour votre Paris, je compte les pages, et je m’aperçois que c’est presque une œuvre, et plus, beaucoup plus étendue que je ne croyais. Cela fera environ trois feuilles. Cela dépasse peut-être la somme que vous vouliez y mettre. Or c’est un tout complet, qui aura un certain à-propos à cause des gros projets militaires du moment, et je n’en pourrais rien retrancher. (C’est une affirmation de la paix.) Il m’importe donc de savoir si ces trois feuilles ne dépassent point votre programme, avant de continuer. N’en pouvant rien ôter, je serais forcé de renoncer au travail. Écrivez-moi le plus tôt possible. Ne m’envoyez aucune épreuve du livre, cela va sans dire, tant que la question n’est pas résolue. J’ai reçu hier une lettre on ne peut plus excellente de notre vaillant et cher ami Louis Ulbach. J’y répondrai quand vous m’aurez répondu et selon ce que vous m’aurez répondu.

Mille affectueux compliments.

Victor H.


Victor Hugo restait toujours un peu désemparé par la brusque retraite de Paul Meurice comme directeur du livre, et par son éloignement comme collaborateur. Il n’avait plus dans la place ceux qui lui tenaient le plus au cœur, et il écrit à son ami :


H.-H., dimanche 19 décembre.

J’ai une tristesse ; vous la devinez. Que vais-je devenir tout seul ? Vous avez une idée. Je l’épouse, il est naturel que je vous suive. Je signe un traité, j’écris une préface, et quand c’est fait, voilà que vous n’êtes pas du livre ! ni Auguste ! ni aucun de mes fils ! C’est à n’y rien comprendre. Est-ce que c’est donc irrémédiable ! Je ne sais que faire. Comme on est bête quand on est absent. Quelle paralysie que