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Boerhaave, étudiant les fièvres cérébrales, s’écriait : Que de mal on peut dire du soleil !

En quatre mots, et tout net, Paris ne recule pas.

Pourtant il a ses inconséquences, parfois coupables. Ainsi, il s’est ému pour la Pologne et ne s’émeut pas pour l’Irlande ; il s’est ému pour l’Italie et ne s’émeut pas pour la Roumanie, qui est Italie ; il s’est ému pour la Grèce et ne s’émeut pas pour la Crète, qui est Grèce. Il y a quarante ans, Psara l’a soulevé ; aujourd’hui Arcadion le laisse froid. Même héroïsme pourtant, même cause, même droit ; mais autre moment. Hélas ! Paris aussi a ses sommeils. Quandoque honm dormitat. Quelquefois, cette immensité a pour occupation le néant.

Il faut l’aimer, il faut la vouloir, il faut la subir, cette ville frivole, légère, chantante, dansante, fardée, fleurie, redoutable, qui, nous l’avons dit, à qui la prend donne la puissance, que Maximilien, aïeul de Charles-Quint, aurait payée de tout son empire, que les Girondins auraient achetée de leur sang et que Henri IV eut pour une messe. Ses lendemains sont toujours bons. La folie de Paris, cuvée, est sagesse.


V


Mais, dira-t-on, le Paris immédiatement actuel, le Paris de ces quinze dernières années, ce tapage nocturne, ce Paris de mascarade et de bacchanale, auquel on applique particulièrement le mot décadence, qu’en pensez-vous ? Ce que nous en pensons ? nous n’y croyons pas. Ce Paris-là existe-t-il ? S’il existe, il est au vrai Paris du passé et de l’avenir ce qu’est une feuille à un arbre. Moins encore. Ce qu’est une excroissance à un organisme. Jugerez-vous le chêne sur le gui ? Jugerez-vous Cicéron sur le pois chiche ?

Un peu d’ombre flottante ne compte pas dans un immense lever d’aurore. Nous nions la décadence, nous ne nions pas la réaction. Une réaction ressemble à une décadence ; faites la différence pourtant : la décadence est incurable, la réaction n’est que momentanée. Qu’en cet instant où nous sommes la réaction sévisse, nous n’en disconvenons point. Nous constatons volontiers une réaction actuelle, aussi violente, et par conséquent aussi faible qu’on voudra, et sur tous les points, et qui se manifeste à peu près partout, contre l’ensemble du fait révolutionnaire et démocratique, contre tout le mouvement d’esprits dérivé de 89, contre toutes les idées qui ont la vie et l’avenir. Cette réaction, si vaillamment dénoncée par l’éloquence fIère et forte d’Eugène Pelletan, par l’étincelante gaieté philosophique de Pierre Véron,