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la casse d’imprimerie. De ces alvéoles sortent, ailées, les vingt-cinq lettres de l’alphabet, ces abeilles. Pour n’indiquer qu’un détail, dans une seule année, 1864, la France a exporté pour dix-huit millions deux cent trente mille francs de livres. Les sept huitièmes de ces livres, c’est Paris qui les imprime.

Les clefs de Pierre, l’allusion décourageante à la porte du ciel plutôt fermée qu’ouverte, sont remplacées par le rappel perpétuel du bien qu’ont fait aux peuples les grandes âmes, et si Saint-Pierre de Rome est un plus vaste dôme, le Panthéon est une plus haute pensée. Le Panthéon, plein de grands hommes et de héros utiles, a au-dessus de la ville le rayonnement d’un tombeau-étoile.

Ce qui complète et couronne Paris, c’est qu’il est littéraire.

Le foyer de la raison est nécessairement le foyer de l’art. Paris éclaire dans les deux sens, d’un côté la vie réelle, de l’autre la vie idéale. Pourquoi cette ville est-elle éprise du beau ? Parce qu’elle est éprise du vrai. Ici apparaît dans son néant la puérile distinction entre le fond et la forme, dont une fausse école de critique a vécu pendant trente ans. Fond et forme, idée et image, sont, dans l’art complet, des identités. La vérité donne la lumière blanche ; en traversant ce milieu étrange qu’on nomme le poëte, elle reste lumière et devient couleur. Une des puissances du génie, c’est qu’il est prisme. Elle reste réalité et devient imagination. La grande poésie est le spectre solaire de la raison humaine.


III


Paris n’est pas une ville ; c’est un gouvernement. « Qui que tu sois, voici ton maître. » Je vous défie de porter un autre chapeau que le chapeau de Paris. Le ruban de cette femme qui passe gouverne. Dans tous les pays, la façon dont ce ruban est noué fait loi. Le boy de Blackfriars copie le gamin de la rue Grénétat. La manola de Madrid a encore aujourd’hui pour idéal la grisette. Caillé, le blanc qui a vu Tombouctou, disait avoir trouvé, dans le Bagamedri, sur la hutte d’un nègre, cette inscription : À l’instar de Paris. Paris a ses caprices, ses faux goûts, ses illusions d’optique ; un moment il a mis Lafon au-dessus de Talma et Wellington au-dessus de Napoléon. Quand il se trompe, tant pis pour le bon sens universel. La boussole est affolée. Le progrès est quelques instants à tâtons.

L’autorité allant dans un sens, l’opinion allant dans l’autre ; un gouvernement obscur sur un peuple lumineux ; ce phénomène se voit parfois, même à Paris. Paris le traverse comme on traverse une pluie. Le lendemain il se sèche au soleil.