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une gaieté de faubourien, mais Paris est surtout de son faubourg. Le caporalisme ayant cessé d’être une grandeur française et étant devenu une grandeur tudesque, Paris est à l’aise pour s’en moquer. Cette moquerie est saine. On en verra les suites. Dans les Miettes de l’Histoire, vivant et puissant livre, on lit ceci : « Un jour Henri VIII n’aima plus sa femme ; de là une religion. » On pourra dire de même : « Un jour Paris n’aima plus le soldat ; de là une guérison. »

Le caporalisme, c’est l’absolutisme. C’est Narvaëz. C’est Bismarck. Le despotisme est un paradoxe. L’omnipotence militaire monarchique offense le bon goût.

— Sifflons cela, dit Paris. Et il prend sa clef dans sa poche. La clef de la Bastille.


II


Paris a été trempé dans le bon sens, ce Styx qui ne laisse point passer les ombres. C’est par là que Paris est invulnérable.

Il s’engoue comme toutes les autres foules, puis, brusquement, devant les apothéoses, les te deums, les cantates, les fanfares, il perd son sérieux.

Et voilà les apothéoses en danger.

Le roi de Prusse est grand. Il a sur sa monnaie une couronne de laurier, sur sa tête aussi. C’est à peu près un César. Il est en passe d’être empereur d’Allemagne. Mais Paris sourira. C’est terrible.

Que faire à cela ?

Sans doute les uniformes du roi de Prusse sont beaux ; mais vous ne pouvez pas forcer Paris à admirer la passementerie de l’étranger.

Bien des choses seraient ou voudraient être ; mais le rire de Paris est un obstacle.

Des principes d’autrefois, qui étaient crénelés et armés, légitimité, grâce de Dieu, inviolabilité séculaire, etc., sont tombés devant « ce rictus », comme l’appelle Joseph de Maistre.

La tyrannie est un Jéricho dont ce rire fait crouler les tours.

Les puissances terrestres que la messe noire foudroyait, un refrain de faubourien les exécute. Être excommunié était une forme de la démolition ; être chansonné en est une autre.

La gaieté de Paris est efficace, parce que, venant des entrailles du peuple, elle se rattache à des profondeurs tragiques.

C’est à Paris, désormais, nous l’avons indiqué plus haut, qu’est l’urbi et orbi. Mystérieux déplacement du pouvoir spirituel.

Au balcon du Quirinal succède cette boîte à compartiments qu’on appelle