Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome II.djvu/336

Cette page a été validée par deux contributeurs.


III

SUPRÉMATIE DE PARIS


I


Depuis un siècle bientôt ce nombre est la préoccupation du genre humain. Tout le phénomène moderne y est contenu.

Ces dates-là sont des chiffres exigibles.

Payez.

Et ne soyez pas de mauvaise foi avec ces chiffres impérieux. Éludés, ils grossissent ; et tout à coup, au lieu de 89, le débiteur trouve 93.

Pourquoi tout à l’heure avons-nous rappelé ces faits, puisés au hasard dans le saisissant pêle-mêle du souvenir, tous ces faits, et tant d’autres ? Parce qu’ils expliquent.

Ils ont une source, le despotisme, et ils ont une embouchure, la démocratie.

Sans eux, et sans leur résultat, 89, la suprématie de Paris est une énigme.

Réfléchissez, en effet. Rome a plus de majesté, Trêves a plus d’ancienneté, Venise a plus de beauté, Naples a plus de grâce, Londres a plus de richesse. Qu’a donc Paris ? La révolution.

Paris est la ville-pivot sur laquelle, à un jour donné, l’histoire a tourné.

Palerme a l’Etna, Paris a la pensée. Constantinople est plus près du soleil, Paris est plus près de la civilisation. Athènes a bâti le Parthénon, mais Paris a démoli la Bastille.

George Sand parle magnifiquement quelque part des vies antérieures. Ces existences préparatoires, sortes de dépouillements successifs de la destinée, les villes les ont comme les hommes. Paris druidique, Paris romain, Paris carlovingien, Paris féodal, Paris monarchique, Paris philosophe, Paris révolutionnaire, quelle ascension lente, mais quelle sublime sortie des ténèbres !

Après moi le déluge ! dit le dernier sultan de la série. On sent en effet, sous ce Louis XV, qu’un certain accomplissement s’apprête, tant la petitesse de tout est formidable. Vers la fin du dix-huitième siècle, l’histoire ne peut plus être étudiée qu’au microscope. On voit un fourmillement de nains, et c’est tout ; d’Aiguillon, Richelieu, Maurepas, Calonne, Vergennes, Brienne, Montmorin ; brusquement une ouverture se fait dans ce qu’on pourrait