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Page 240. — Les journaux annoncent que j’ai sauvé la vie à cinq des condamnés.


Il s’agissait de nihilistes dont Victor Hugo avait demandé la grâce. Le Rappel publia, dans son numéro du 8 mars 1882, cette lettre ouverte à l’empereur de Russie :


Il se passe des faits d’une nouveauté étrange. Le despotisme et le nihilisme continuent leur guerre. Guerre effrontée du mal contre le mal ; duel de ténèbres. Par moment une explosion déchire cette obscurité ; un instant de clarté apparaît, et il se fait un jour de nuit. C’est horrible. La civilisation doit intervenir.

À cette heure, voici ce qu’on voit : Une obscurité illimitée ; au milieu de cette ombre dix créatures humaines, dont deux femmes (deux femmes !) sont marquées pour la mort. Et dix autres sont données à la cave russe, la Sibérie.

Pourquoi ?

Pourquoi ce gibet ? pourquoi ce cachot ? Un groupe d’hommes s’est assemblé. Il s’est déclaré haut tribunal. Qui assistait à ses séances ? Personne. Pas de public ? Pas de public. Qui en rendait compte ? Personne. Pas de journaux. Mais les accusés ? Il n’y étaient pas. Mais qui parlait ? On l’ignore. Mais les avocats ? Il n’y avait pas d’avocats. Mais quel code citait-on ? Aucun. Sur quelle loi s’appuyait-on ? Sur toutes et sur aucune. Et qu’est-il sorti de là ?

Dix condamnés à mort. Et les autres.

Que le gouvernement russe y prenne garde.

Il est gouvernement régulier. — Il n’a rien à craindre d’un gouvernement régulier ; il n’a rien à craindre d’une nation libre, rien à craindre d’une armée, rien à craindre d’un état légal, rien à craindre d’une puissance correcte, rien à craindre d’une force politique. Il a tout à craindre du premier venu, d’un passant, d’une voix quelconque.

Grâce !

Une voix quelconque, c’est personne, c’est tout le monde, c’est l’immense anonyme. On entendra cette voix ; elle dira grâce ! Je crie grâce dans l’ombre. La grâce en bas, c’est la grâce en haut. Je demande grâce pour le peuple à l’empereur ; sinon je demande à Dieu grâce pour l’empereur.

Victor Hugo.


Page 241. — Je me décide à écrire aujourd’hui à l’empereur d’Autriche…


Victor Hugo avait déjà écrit le 15 décembre 1882 une première lettre pour demander la grâce d’Oberdank, condamné pour avoir lancé des bombes lors de l’ouverture de l’exposition de Trieste. Cette première lettre a été publiée dans la Correspondance. Voici la seconde lettre :


La peine de mort est abolie pour tout homme civilisé.

La peine de mort (avec toutes ses dépendances) sera effacée des codes du vingtième siècle. Il serait beau de pratiquer, dès à présent, la loi de l’avenir.

Victor Hugo.
21 décembre 1882.