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France. Je me suis récrié contre une forteresse, et contre Belle-Île et contre le Mont-Saint-Michel. Thiers m’a dit : Je prends note de votre désir. Je ferai mieux.

J’ai demandé Nice.

Rochefort verra ses enfants librement, et tant qu’il voudra.

Enfin, comme il faut qu’il vive, il pourra écrire l’histoire de Napoléon III, qu’il veut faire.

Et puis, d’ici à six ou sept mois, l’amnistie arrivera ; et il sera libre.


Je dois dire que Thiers est entré dans beaucoup de détails. Il m’a notamment raconté des scènes d’intérieur des commissions de l’Assemblée et des conseils de guerre, et sa conversation avec l’empereur d’Autriche au sujet de l’empereur d’Allemagne, que l’empereur d’Autriche appelle mon oncle. Tout à coup, Thiers s’est interrompu, et a dit : Mais j’en dis trop. Puis, il a repris : Non, je sais à quel honnête homme j’ai affaire. Je lui ai dit : — Soyez tranquille.

C’est pourquoi je n’écris pas cette conversation plus en détail.

Il m’a dit :

— Je suis comme vous un vaincu qui a l’air d’un vainqueur ; je traverse comme vous des tourbillons d’injures. Cent journaux me traînent tous les matins dans la boue. Mais savez-vous mon procédé ? Je ne les lis pas. — Je lui ai répondu : — C’est précisément ce que je fais. Votre procédé est le mien. — Et j’ai ajouté : — Lire des diatribes, c’est respirer les latrines de sa renommée. — Il m’a serré la main en riant.

J’ai appelé son attention sur les atrocités déjà commises, et je l’ai engagé à ne laisser exécuter aucun condamné. J’ai demandé qu’il muselât les gens à épaulettes. J’ai insisté pour l’amnistie. Il m’a dit :

— Je ne suis qu’un pauvre diable de dictateur en habit noir.

L’entretien, commencé à deux heures un quart, a duré jusqu’à trois heures et demie. À quatre heures, je suis reparti pour Paris.


Il y avait dans le wagon deux jeunes officiers frais éclos de Saint-Cyr, et une jeune femme avec un jeune homme, son mari probablement. La jeune femme lisait un journal, l’Éclipse, où il y a une caricature de Henri V par Gill. Je regardais Sèvres et les bois de Meudon. Tout à coup la jeune femme montre du doigt à son mari une ligne du journal et s’écrie : — Victor Hugo est un héros.

— Prends garde, dit le jeune homme bas, il est là ! — Et il m’a montré discrètement.

La jeune femme a pris mon chapeau qui était sur la banquette et en a baisé le crêpe ; puis elle m’a dit :